Les RTS (ou STR en bon français, pour jeu de stratégie en temps réel) se font hélas de plus en plus rares. Les derniers représentants de cette glorieuse lignée ont simplement disparu sans laisser d’héritiers, tels Star Wars: Empire at War ou The Lord Of The Rings: The Battle for Middle-Earth, ou bien ont été mutilés et dénaturés comme fut les Dawn of War. La branche des Company of Heroes, en revanche, est toujours parmi nous et vient de nous présenter son fier successeur : Company of Heroes 3. Et autant le dire d’emblée, quel plaisir de jouer à un bon jeu de stratégie en 2023 !
Avec un Company of Heroes 2 qui, du haut de ses dix ans, continue d’avoir des milliers de joueurs en ligne chaque jour, on ne peut que s’étonner du manque d’engouement pour les studios aujourd’hui à explorer le filon des RTS. Heureusement, le roi lui-même est de retour en 2023. Mimétisme consternant ou couronnement mérité ?
(Test de Company of Heroes 3 réalisée sur PC à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Rusé comme un renard du désert
Company of Heroes 3 nous propose deux campagnes différentes : suivre la reconquête des Alliés en Italie ou revivre l’aventure de l’Afrikakorps en Afrique du Nord. Si le seconde est une campagne linéaire traditionnelle où l’on joue une douzaine de missions séparées par des cinématiques de narration, la première est différente et plus originale. En effet, c’est cette campagne dans laquelle nous retrouvons la fameuse carte de campagne au tour par tour, ou « à la Total War » pour reprendre la comparaison malvenue, et mauvaise, de certains confrères. Nouveauté particulièrement importante pour que Relic Entertainement décide d’axer l’essentiel de sa communication dessus.
Pourtant, cette campagne est finalement l’aspect le moins intéressant du jeu et devient particulièrement ennuyante. Il faut bien comprendre que les batailles des deux campagnes sont scriptées, de même que les mouvements de l’IA sur la carte de campagne. De fait, le challenge est en soi assez faible même si l’immersion est réussie. Pourtant, il y a de bonnes idées, comme décider de conquérir un aéroport pour bénéficier d’appuis aériens lors de la prochaine bataille, ou d’un port pour bénéficier de navires supplémentaires et de leurs frappes navales. Il y a même un système de loyauté avec les commandants britannique, américain et la résistance italienne, qui confère des bonus si vous prenez des décisions qui vont dans leur sens. Mais ces considérations tactiques n’ont que très peu d’intérêt pour le joueur, puisque l’IA scriptée semble résignée à vous laisser marcher de ville en ville.
Au contraire, la campagne allemande nous plaçant aux côtés du Deutsches Afrikakorps (DAK) d’Erwin Rommel est beaucoup plus intéressante. Campagne linéaire aux mouvements ennemis toujours scriptés, on se plaît toutefois à suivre l’aventure du DAK dont la manière de jouer est axée sur la débrouille et la polyvalence, ce qui est historiquement juste et plaisant en termes de mécaniques de jeu. Par exemple, les fantassins du DAK sont presque tous capables de réparer les véhicules, ont accès à des blindés légers très mobiles et efficaces contre l’infanterie et les blindés légers, et des canons anti-aériens qui font des merveilles contre les blindés ennemis.
Relic Entertainement s’essaie ici à une narration plus originale et mature qu’avec les jeux précédents. Entre deux missions du DAK, nous suivons en effet le point de vue d’une famille juive vivant l’attaque, puis l’occupation, allemande. Témoin de la dureté de l’occupation et de la discrimination des forces de l’Axe envers les populations locales, cette famille souffre cependant d’une mise en scène un peu laborieuse dont les cinématiques en 2D succèdent aux cinématiques en 3D présentant vos victoires et les contre-attaques britanniques. Le tout manque de fluidité et donne une sensation de hors-propos malvenue. Concept assez singulier, mais qui a le mérite, quoique maladroit, de nous présenter le point de vue sous-représenté dans les médias de l’occupation allemande en Tunisie et Libye.
Néanmoins, ces deux campagnes réussissent avec beaucoup de succès à nous présenter des paysages très variés et apportent un renouveau visuel bienvenu au sein de la franchise, particulièrement après deux opus plus « sinistres » et aux couleurs plus froides. Les étendues désertiques du théâtre nord-africain laissent beaucoup de place et d’ouvertures pour manœuvrer vos panzers, tandis que l’Italie se distingue par ses combats urbains dans des villes colorées.
Être ou ne pas être en bonne compagnie ?
L’immersion est le point fort du jeu. Jamais un RTS n’a su reproduire des sons de tirs proches et distants comme Company of Heroes 3 le fait. Qu’il s’agisse des claquements de balles, des frappes aériennes, ou même simplement du ronronnement agressif des avions-bombardiers qui survolent comme des vautours le champ de bataille, c’est une franche réussite. Quant aux destructions de bâtiments, si elles ont avant tout une dimension tactique en anéantissant une unité retranchée ou interdisant justement un retranchement, comment ne pas saluer le soin apporté aux dégâts et effondrements dynamiques des bâtiments.
S’agissant des unités et des textures, le jeu est beau sans être magnifique. Beaucoup de voix se sont élevées contre les couleurs plus chaudes de cet opus, mais elles rendent très bien avec le théâtre méditerranéen. Les unités bénéficient quant à elles d’un soin du détail très satisfaisant. Seules fausses notes : la musique, qui jamais n’aura été proche d’être aussi entraînante et épique que celle des deux jeux précédents, et la décision curieuse d’avoir toutes les unités qui parlent en anglais avec un accent selon la faction, au lieu de les entendre parler leur propre langue comme dans les jeux précédents.
Le gameplay, quant à lui, a été légèrement amélioré même si, dans les grandes lignes, il s’agit du même que celui de Company of Heroes 2 : vous vous retrouvez sur un champ de bataille avec un bâtiment faisant office de quartier-général, vous avez une unité de soldats du génie, et vous devez capturer des points sur la carte pour accumuler du carburant (nécessaire pour faire des véhicules et des bâtiments), des munitions (indispensables pour appeler du soutien aérien et améliorer l’équipement de vos escouades), et des points de victoire. Le micro-management de vos unités est toujours le cœur du jeu, de même que les couvertures et le système « Truesight », ou le fait de ne pouvoir voir que ce que vos unités peuvent voir face à elles.
Au rang des légères nouveautés, citons pèle-mêle les soldats qui enjambent désormais d’eux-mêmes les obstacles, les fumigènes qui vous permettent de vous soustraire à un tir de suppression, l’importance des camions médicaux et des camions tractant votre artillerie et une refonte du choix des doctrines et de l’UI. L’ajout d’une pause tactique, permettant de figer les combats et donner des ordres à vos unités, permet aux nouveaux joueurs de se familiariser avec les combats intenses de la franchise.
Il est désormais important d’en venir aux factions proposées par Company of Heroes 3, car une fois débarqués sur les plages de ce nouveau combat, une observation saute immédiatement aux yeux : nous voilà avec le troisième jeu consécutif à nous proposer l’armée américaine, l’armée britannique et deux armées allemandes. Certes, leur manière de jouer a été revue et améliorée, de sorte que les Américains, les Britanniques et la Wehrmacht se jouent différemment des factions éponymes de Company of Heroes 2 ou Company of Heroes, d’autant que les commandants sont toujours là pour personnaliser votre armée en optant pour des unités ou capacités uniques d’une partie à l’autre, mais quel dommage de ne pas nous permettre de jouer une faction italienne alors même que le DAK a accès à de nombreuses unités italiennes en renforts, comprenant différentes unités d’infanterie, de blindés et d’artillerie. Difficile de ne pas se dire que le studio était littéralement à la moitié de faire le roster complet d’une faction italienne.
« Je ne suis pas un héros »
En réalité, la composante principale du jeu est le multijoueur et les escarmouches contre l’IA. La campagne a une rejouabilité proche du néant et, nous l’avions dit, confronte le joueur à un manque de challenge édifiant. En revanche, les escarmouches contre l’IA, que ce soit en 1V1, 2V2, 3V3 ou 4V4, sont infiniment plus intéressantes tant l’IA est coriace et capable de faire des poussées sur la carte, en plusieurs points, avec de l’infanterie et des véhicules. On en vient à regretter de ne pas avoir un mode bac à sable où l’on pourrait affronter l’IA sur la carte de campagne et bénéficier de combats plus organiques avec elle.
Le multijoueur quant à lui est très satisfaisant. En une dizaine d’heures, nous n’avons pas relevé de toxicité dans les chats, peut-être est-ce dû à l’effet « nouveauté » du jeu et l’arrivée de nouveaux joueurs, mais les parties en 3V3 et 4V4 sont particulièrement savoureuses, offrant souvent des combats très acharnés et des parties serrées du début à la fin. Le plaisir de voir les troupes supérieures d’un adversaire, qui se sont frayées un chemin parmi vos défenses, être mises en échec par des unités d’infanterie retranchées derrière les épaves de vos chars perdus, est absolument unique. Les retournements de situation sont nombreux, et un chasseur de char ou un canon bien placé peut causer beaucoup de dommages. On regrettera quand même que les parties finissent brusquement et que l’on n’ait pas le temps d’écrire un petit « GGWP » dans le chat général, voire même de recommander les joueurs qui jouent en équipe à la manière d’un Overwatch, dont il est vrai qu’il nous a gâtés en fonctionnalités sociales.
Company of Heroes 3 est le Company of Heroes que l’on a toujours connu. Il est là, avec son style de jeu si particulier et gratifiant. Mais surtout, il est le RTS par excellence tout autant que l’étaient ses prédécesseurs avant lui et à leurs époques. Loin d’être exempt de défauts et proposant deux campagnes relativement bancales, mais qui font office de didacticiels pour les nouveaux venus, le titre tire sa force de son multijoueur et d’un mode escarmouche solides et satisfaisants.
On espère toutefois un support plus cohérent et consistant de la part de Relic, et on croise les doigts pour voir arriver des factions supplémentaires au cours de l’existence du jeu. Pour les amateurs de RTS, le roi est de retour.