Une histoire de mystérieuses disparitions dans un petit village reclus. Un premier visuel présentant les enfants du village, les yeux écarquillés. On pensera évidemment tout de suite au Village Des Damnés, le film de John Carpenter, remake d’un classique de 1960 et adaptation d’un roman de John Wyndham (dont une nouvelle adaptation est d’ailleurs en ce moment diffusée sur la chaîne SYFY).
Et c’est ce qui nous aura convaincus d’aller voir de plus près Children of Silentown, ce point’n’click entièrement dessiné à la main. Pourtant, le jeu n’a rien à voir avec le film d’horreur, et se présente plutôt comme une aventure qui offrira des frissons aux plus jeunes…
(Test de Children of Silentown réalisée sur Switch via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Dessine-moi un mouton un gros monstre
Elf Games, le petit studio italien qui développe le jeu, a à cœur de proposer des jeux qui sortent visuellement de l’ordinaire. Le titre qui a fait la réputation du studio, Little Briar Rose (sur Steam et mobiles), apparaissait ainsi comme entièrement réalisé en vitraux. On redescend un peu pour Children of Silentown, avec une esthétique un peu plus classique, mais néanmoins remarquable.
Le jeu est entièrement peint à la main (décors et personnages), dans un style assez naïf (les personnages n’ont pas de main, pas de pied…), ce qui renforce sa narration, donnant au jeu des airs d’album jeunesse ou d’histoire à raconter avant de s’endormir.
Pour assurer un rendu visuel irréprochable et une vraie identité graphique à son jeu, Elf Games s’est associé à un studio d’animation, Luna2, qui a marqué Children of Silentown de son style. Ces personnages aux grands yeux blancs, c’est Luna2 ! On pense aux productions NIS, comme The Cruel King and the Great Hero, ou The Liar Princess and the Blind Prince, d’autres jeux-contes pour enfants mettant en scène d’horribles monstres, avec un côté chibi (ce sont des jeux japonais) dont le titre d’Elf Games se passe.
Dans sa dernière partie, la direction artistique du titre ira même flirter avec les prestigieux studios Ghibli, avec des références que nous tairons ici pour ne pas gâcher la découverte.
Pointer, cliquer, raconter
Alors, qui dit conte pour enfants, dit jeu pour les enfants ? C’est peut-être en effet la cible privilégiée de Children of Silentown. Entre deux (rares) jump scares qui n’auront d’effet que sur les joueurs les plus sensibles, le jeu mixe le point’n’click classique, dans lequel il faudra ramasser des objets, les faire interagir entre-eux, puis avec le décor, pour avancer dans l’intrigue, avec le jeu narratif et des phases de puzzle game.
Le mélange opère plutôt bien, mais se révèle un poil facile pour les habitués du jeu d’aventure à l’ancienne. Les joueurs ayant connus les productions LucasArts ou la série des Broken Sword/Les Chevaliers de Baphomet devraient traverser Children of Silentown sans rencontrer aucune difficulté. Les joueurs les moins expérimentés (de par leur âge, ou leur pratique encore récente du jeu vidéo) découvriront, eux, comment associer deux objets qui n’ont rien à voir peut les sortir de cette situation où ils commençaient à tourner en rond !
Le scénario nous fait rapidement comprendre à quel public s’adresse le jeu, puisqu’on y joue une petite fille qui brave l’interdiction primordiale de sortir du village pour aller sauver sa maman, qu’elle croit perdue en forêt, enlevée par de mystérieux monstres…
O bella ciao bella ciao…
Comme dans tout conte de fée, il faudra une morale au jeu : ici, c’est peut-être qu’il faut savoir affronter ses peurs, qu’il faut savoir « sortir de sa zone de confort », pour reprendre une expression à la mode dans les bouquins de développement personnel ou sur LinkedIn… Une morale un peu facile pour une fin qui ne sera pas entièrement satisfaisante, vous voilà prévenus !
Cependant, on peut y voir aussi un message plus politique, surtout en gardant à l’esprit que le jeu est une œuvre italienne, pays aujourd’hui dirigé par une admiratrice de Mussolini. Les personnages de Children of Silentown sont cloitrés derrière les frontières du village, ayant peur de l’extérieur, même s’ils ne connaissent pas exactement la nature de la menace qu’ils craignent. Ils vivent sous une sorte de loi martiale, leur interdisant de sortir la nuit (l’heure des monstres), mais aussi de parler trop fort ou encore de chanter, pour ne pas attirer les mêmes monstres : quelqu’un qui aurait voulu décrire le fascisme ne s’y serait probablement pas pris autrement !
Bien entendu, et sans trop spoiler, la conclusion du jeu nous montrera comme le village a eu tort, à la façon d’une variation sur la fable d’Esope Les Lièvres et les Grenouilles – bien que la morale soit légèrement différente : ici, on ne se console pas en réalisant que d’autres aussi vivent dans la peur, mais on réalisera qu’aller au-devant de ses craintes pour comprendre le monde et ceux qui nous entourent peut-être libérateur…
Children of Silentown sera un excellent « point’n’click jeunesse », comme il y a de très beaux albums jeunesse. Et comme on prend autant de plaisir à lire un Max et les Maximonstres à un enfant qu’il en prend, lui, à nous écouter, on pourra aussi, même plus âgé, parcourir ce joli jeu durant les quelques heures que dure l’enquête. L’histoire ne sera effrayante que pour les plus petits ou les plus sensibles, avec qui les deux ou trois jump scares présents dans le jeu pourraient fonctionner, de même que les puzzles ne devraient freiner que les plus novices.
Pour les autres, il reste une direction artistique léchée, un conte pour enfant comme souvent un peu plus profond qu’il n’en a l’air, et une excellente occasion de partager un moment de jeu vidéo en famille en accompagnant les plus jeunes. D’ailleurs, on regrettera, vu le positionnement du jeu, que celui-ci ne soit pas doublé en français, même s’il dispose de sous-titres.