Après une très longue gestation, cinq années après l’annonce de son développement, Bayonetta 3 a fini par rejoindre le catalogue de la Nintendo Switch à la fin de l’année 2022. Malgré les lacunes techniques de sa machine hôte ayant conduit à quelques soucis malheureux sur le titre de PlatinumGames, la troisième aventure de notre sorcière bien aimée s’est révélée particulièrement réussie, parvenant même à obtenir le titre de meilleur jeu d’action de l’année aux derniers Game Awards. Alors, quelle ne fut pas notre surprise de voir Nintendo nous annoncer seulement quelques semaines après sa sortie déjà un préquel à la saga intitulé Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon.
La surprise est totale, d’autant plus que la prise de risque de la part des équipes de développement est grande. En repartant d’une feuille blanche pour créer ce spin-off, ils ont pu complètement repenser leur approche de l’univers de Bayonetta. Gameplay, direction artistique, narration… tout a été revu pour créer une expérience nouvelle. Sorti pourtant presque en catimini sur la machine de Nintendo le 17 mars dernier, on est en droit de se demander si Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon n’est qu’un projet modeste fait à la va-vite pour renflouer des caisses vidées par un développement coûteux et de longue haleine, ou s’il est plutôt l’excroissance découpée d’un projet ayant pris de trop grandes et ambitieuses proportions.
(Test de Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon sur Switch réalisée à partir d’une copie fournie par l’éditeur)
Promenons-nous dans les bois
Il était une fois une jeune sorcière du nom de Cereza. Elle ne le sait pas encore, mais son extraordinaire destin est déjà tout tracé. Elle deviendra l’égérie de tous les fans de beat’em up pendant près de quinze ans, depuis ses premières tatanes en 2009 sur Xbox 360 et PS3. Mais pour l’heure, la seule chose qui compte, c’est de retrouver sa maman emprisonnée pour avoir aimé un homme d’une confrérie rivale. Issue d’une relation entre Montaigu et Capulet, la pauvre Cereza se retrouve totalement isolée, rejetée par les sorcières de l’Umbra dont elle a pourtant les gènes.
C’est dans ce contexte que l’on accompagnera la jeune Cereza qui, sous la tutelle d’une sorcière puissante mais elle aussi isolée, apprendra l’art de la sorcellerie. Tout un périple qui nous amènera à visiter la grande forêt interdite d’Avalon réputée comme particulièrement dangereuse pour toute âme y pénétrant. Alors, quand une jeune enfant encore inexpérimentée s’y rend seule dans l’espoir d’obtenir un pouvoir suffisamment grand pour pouvoir délivrer sa mère, autant dire qu’elle risque de ne pas y faire de vieux os.
C’est alors que débute le cœur de Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon, à savoir la relation naissante entre la jeune sorcière de l’Umbra et Chouchou, un démon invoqué maladroitement qui, pour survivre, a pris possession du corps de la peluche de la fillette. Elle, fière d’avoir réussi à invoquer son premier démon, et lui, courroucé de dépendre d’une gamine incompétente, vont alors devoir travailler de concert pour pénétrer au plus profond de la forêt et y dénicher le moyen de renvoyer la créature démonique d’où elle vient.
Nous sommes immédiatement tombés sous le charme de l’aventure proposée, envoûtés par l’esthétique globale du titre. La direction artistique est sublime et nous prouve à chaque instant qu’elle supplante la technique pure, a fortiori sur une machine vieillissante comme la Nintendo Switch. Chaque plan, chaque personnage, allié ou ennemi, est magnifiquement réalisé et être au cœur de ce conte est un enchantement sans cesse renouvelé. L’ambiance qui se dégage de Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon est enchanteresse, le tout au profit d’une narration particulièrement enjôleuse.
Le récit a beau être de prime abord cousu de fil blanc, on a toujours envie d’en savoir plus, déjà grâce à une réalisation particulièrement soignée, comme nous l’avons souligné précédemment, mais aussi grâce aux personnages de Cereza et Chouchou auxquels on s’attache dès les premiers instants. L’évolution de leur relation, si elle n’est pas surprenante pour un sou, n’en est pas moins très agréable à suivre et parfois même quelques surprises et références viendront nous sortir de notre zone de confort scénaristique.
Alors que nous étions habitués à une ambiance d’un nanardesque totalement assumé dans la série principale, avec un humour ravageur, Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon nous propose une atmosphère beaucoup plus naïve, presque enfantine parfois, tranchant avec quelques thèmes beaucoup plus adultes vus depuis la hauteur d’une fillette. Les développeurs de Platinum Games sont sortis de leur zone de confort pour nous proposer une lecture de l’enfance de Bayonetta/Cereza et ont réussi à la matérialiser avec un certain brio.
L’union fait la force
En tant qu’à la fois spectateur de ce conte très rafraîchissant et acteur de son avancement, nous sommes amenés à diriger chacun de ces personnages indépendamment, Cereza se maniant avec la partie gauche de la manette (stick et gâchettes) et Chouchou avec la partie droite (stick, gâchettes et boutons). Une maniabilité qui n’est pas sans nous rappeler celle de Brothers: A Tale of Two Sons, excellent titre de Josef Fares (It Takes Two).
Ainsi, pour évoluer dans cet environnement plein de dangers, nous devons à la fois faire preuve d’habileté pour survivre aux ennemis qui se dresseront face à nous, et de sagacité afin de résoudre les nombreuses énigmes sur notre chemin. Chacun dispose de ses propres forces et faiblesses. Chouchou est puissant et peut facilement venir à bout de divers obstacles tandis que Cereza dispose de pouvoirs lui permettant de créer, par exemple, des plateformes ou de quoi immobiliser les ennemis. De plus, dans sa forme « peluche », Choucou, dans les bras de sa maîtresse, pourra atteindre de nouvelles zones en s’allongeant tel un élastique ou en étant lancé à des hauteurs inatteignables autrement afin de débloquer de nouveaux accès.
Alors évidemment, demi-manette oblige, les mouvements de chacun restent assez simples, l’attaque ou la magie ne se résumant qu’à deux boutons, mais l’ensemble s’avère suffisamment efficace pour que l’on ne se sente pas frustré par le manque de possibilités. Les combats ne sont pas omniprésents et ceux-ci, à la fois par la variété du bestiaire que par celle des approches à la disposition de nos deux amis, ne sont jamais désagréable. Mieux encore, les quelques boss du titre nous ont rappelé, à leur échelle bien sûr, certains grands moments des affrontements de la Bayonetta adulte.
Ce qui nous a par contre plus dérangés, et c’est malheureusement un problème inhérent à ce choix de maniabilité dans Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon, c’est finalement son manque de lisibilité quand les moments deviennent plus critiques. Comment arriver à contrôler parfaitement deux personnages sous la menace d’ennemis quand on doit à la fois gérer les forces et faiblesses de l’adversaire avec l’un, et échapper aux attaques avec l’autre. Surtout, plus problématique encore, alors que, quand Chouchou est à droite de l’écran et Cereza à gauche, on s’en sort tant bien que mal, mais lorsque d’aventure leurs positions sont échangées, alors le démon et la sorcière deviennent infernaux à diriger, notre main droite dirigeant le personnage de gauche et vice-versa (et un cerveau emberlificoté).
On peut d’ailleurs regretter que les équipes de Platinum Games n’aient pas implémenté un mode deux joueurs qui aurait été particulièrement bien senti pour vivre l’aventure avec, par exemple, un enfant ou même simplement entre amis. Autant seul, un enfant aura beaucoup de mal à s’en sortir dans Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon, autant, aux côtés d’un parent, il aurait pu vivre une magnifique aventure qui a, selon nous, souvent de chouettes relents « Zeldaesques », même si nous sommes ici beaucoup plus balisés (un peu trop peut-être).
En effet, au-delà d’une exploration matinée d’énigmes et de combats, nous sommes souvent attirés à droite ou à gauche, hors des sentiers battus, pour dénicher un coffre, un bonus quelconque ou une faille à refermer, que l’on pourrait comparer aux sanctuaires de Breath of the Wild. Loin d’être anodins, ces failles font aussi office de révélateurs de carte sur laquelle apparaîtront alors les différents points d’intérêt de la zone. D’apparence linéaire, elle s’avère en fait beaucoup plus alambiquée qu’il n’y paraît. On retourne d’ailleurs régulièrement dans les anciennes régions au fil des raccourcis et pouvoirs élémentaires que nous débloquerons.
Plus le pari est risqué, plus la récompense est belle. Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon prend le contrepied total de la série dont il est issu, mais cela a permis d’offrir également une consistance nouvelle à l’univers. Et surtout, c’est la cohérence entre ce spin-off et la série principale qui a été privilégiée. On aura pu se sentir déstabilisé en premier lieu devant des affrontements plus brouillons que ce à quoi nous étions habitués, ou à l’ambiance enfantine, naïve, qui se dégage du titre, mais cela a eu pour conséquence de nous envoûter encore plus facilement. Pari amplement réussi.
Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon est-il un jeu parfait ? Sans doute pas, mais il est en tout cas un préquel comme jamais nous ne l’aurions imaginé. Esthétiquement fabuleux, ingénieux dans ses mécaniques et narrativement envoûtant, le titre de Platinum Games est un petit bijou que tout fan de la sorcière de l’Umbra, et même tout amateur de jeu d’aventure à la Zelda, devrait au moins essayer. Et cela tombe bien puisqu’une démo est disponible sur l’e-shop.
C’est un véritable conte de fée que l’on a vécu avec Bayonetta Origins: Cereza and the Lost Demon, bien qu’ici, les fées ne soient pas très amicales. Telle une Alice s’engouffrant dans le pays des merveilles en suivant le lapin blanc (même si, charisme oblige, c’est plutôt un loup blanc que l’on a suivi ici), nous avons pénétré dans un monde que nous n’avons pas pu quitter avant son terme. On pourra bien pester ici ou là sur un gameplay qui a les défauts de ses qualités, ou regretter l’absence inexplicable d’un mode multijoueur, il ne faut pas bouder notre plaisir et apprécier ce délicieux bonbon qu’on nous a offert. Qui a dit que Platinum Games ne savait faire que de la baston ?