Connaissez-vous le point commun des studios DICE, Paradox, Tarsier, Overkill ou encore Dennaton et Avalanche ? Eh bien, ils sont tous suédois et font partie d’une longue liste de structures indépendantes ou non nous offrant chaque année quelques très bons, voire grands jeux. On aurait pu en citer d’autres, mais une chose est sûre, le jeu vidéo suédois est encore aujourd’hui assez mésestimé par le grand public, tout simplement parce qu’il est souvent dans l’ombre des grosses majors de notre média.
Pourtant, on a là probablement le pays européen le plus prolifique en termes de création qualitative vidéoludique en Europe et il est grand temps de rendre hommage à ces studios qui ne goûtent pas assez aux feux de la rampe.
Et ce n’est pas anodin de notre part, car le jeu qui nous intéresse aujourd’hui nous vient lui aussi de cette lointaine contrée nordique et plus précisément de la ville de Helsingborg et des locaux de Frictional Games. Spécialisé dans le jeu d’horreur, le studio nous a offert quelques perles du genre, comme la trilogie Penumbra, le terrifiant Amnesia: The Dark Descent en 2010 et le plus récent, mais non moins excellent, SOMA sorti en 2015.
Cinq ans après leur dernier jeu, les développeurs de chez Frictional reviennent donc avec un nouvel épisode d’une licence de renom aussi attendu que redouté, à savoir Amnesia: Rebirth.
(Test d’Amnesia: Rebirth sur PC réalisé avec une version commerciale)
Ni remake, ni suite (dans le sens où on l’entend traditionnellement), ni même préquelle, Amnesia: Rebirth est tout simplement une nouvelle entrée dans la licence horrifique initiée en 2010. Troisième épisode d’ailleurs, puisqu’en 2013, Frictional Games avait passé la main à The Chinese Room (Dear Esther) pour développer Amnesia: A Machine For Pigs qui n’avait pas convaincu son petit monde à l’époque. Le studio suédois entend donc remettre les pendules à l’heure et nous proposer une aventure terrifiante dans un cadre peu commun du jeu vidéo horrifique : l’Algérie des années 30.
Une plume ensablée
Amnesia: Rebirth met en scène Tasi Trianon, rescapée du crash d’un avion de ligne l’emmenant elle, son mari Salim, ainsi que quelques autres passagers dans la ville d’Alger, capitale de l’Algérie. Après une introduction intense digne de Bioshock ou encore The Forest, la jeune femme se réveille seule dans l’épave du zinc perdu en plein désert. Consciente que quelque chose cloche, car il semble s’être déroulé un long moment entre l’accident et son réveil, Tasi part en quête de secours et de réponses sur le sable brûlant du désert.
Amnésique, elle comprend alors qu’elle remonte un chemin déjà foulé avec d’autres survivants. Elle va alors tenter à la fois de comprendre ce qui lui arrive et de retrouver ses compagnons d’infortune maintenant disparus.
Bien écrit, Amnesia: Rebirth est de ce point de vue le digne successeur de The Dark Descent et pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, on ne va pas trop vous en dire. Sachez juste que le récit lorgne du côté du fantastique et de la science-fiction, qu’il est intéressant, bien écrit et moteur de l’aventure. Il mêle habilement une intrigue tournant autour de l’intime de Tasi et des enjeux plus globaux sur fond de découvertes archéologiques majeures et d’anciennes civilisations antiques.
Ceci s’articule autour d’une narration un brin classique, à coup de flashbacks au demeurant très beaux, car prenant l’apparence de dessins au fusain, mais aussi de journaux écrits à lire et de souvenirs prenant la forme de saynètes distillées durant les (nombreux) temps de chargement.
Mais ne s’arrêter à cela ne serait pas rendre justice au travail effectué par Frictional, car l’histoire s’écoute et se lit certes, mais elle se ressent et s’observe aussi. La narration visuelle est une composante importante de Rebirth grâce à différents lieux qui ont tous une identité propre et une histoire à raconter. Du fort militaire français abandonné, en passant par un village perdu dans le désert ou encore d’anciennes ruines enterrées sous le sable, il y a à boire et à manger. Sans être un foudre de guerre technique, malgré quelques fulgurances, notamment au niveau des jeux de lumière, cette suite propose une direction artistique maîtrisée de bout en bout.
Le seul bémol que l’on relève, et qui brise une immersion dont c’est l’une des seules failles, est ce côté localisation linguistique foirée qui jamais ne disparaît malheureusement. On a beau être en pays francophone, toutes les pancartes, inscriptions ou encore lettres sont rédigées dans la langue de Shakespeare et non de Molière, ce qui crée parfois de biens étranges situations dans la traduction donnée.
Enfin, la question du choix se pose à certains endroits et surtout lors du final du jeu. S’ils ont le mérite de nous laisser choisir la conclusion que l’on souhaite donner à cette histoire, en posant quelques questions morales au passage, on regrette le côté très manichéen du procédé. On aurait préféré que les choix à effectuer soient la répercussion de nos actes en jeu et non la conséquence d’un oui/non final. On regrette aussi que le contexte algérien disparaisse peu à peu pour ne plus exister au final. Pourtant, il y avait sans doute de quoi faire et mieux à faire aussi.
Une renaissance un brin classique
Amnesia: Rebirth réussit donc son pari de nous proposer un univers référencé et réussi, mélange subtil de ces films d’aventuriers de l’âge d’or du cinéma, de ces récits de science-fiction bien plus modernes, mais accompagnés par une touche pulp indéniable, et de ces histoires de monstres qui se tapissent dans le noir, attendant l’arrivée d’une proie sans défense à dévorer. Car ce que l’on attend aussi d’un jeu estampillé Amnesia, c’est qu’il fasse peur et nous plonge dans une ambiance malsaine et glauque.
Et en cela, nous ne sommes pas déçus, car que ce soit de par son imagerie gore et crue ou bien de par ses quelques situations de jeu procurant un stress à s’en ronger les ongles jusqu’au sang, Rebirth fait le job sans trop se forcer. Frictional a de toute évidence acquis un savoir-faire admirable lorsqu’il s’agit de faire peur par l’ambiance et du déclenchement de scripts inattendus.
Néanmoins, le gameplay, le level design et la mécanique de peur sont fatalement liés aux autres jeux de Frictional et si c’est forcément une qualité, c’est aussi un défaut. Si on met de côté le contexte et le lieu, ainsi que l’atmosphère effrayante du titre, rien ne surprend vraiment par contre clavier/souris en mains. On a l’impression de revenir vingt ans en arrière et cela manque un chouïa de modernité dans l’approche, la seule réelle nouveauté étant un bracelet se transformant en compas nous permettant de trouver et d’ouvrir des sortes de failles. Pourtant prometteur, ce détail apparaît sous-exploité, et on taira sa provenance et son utilité.
Les énigmes et casse-têtes, quant à eux, nous demandent la plupart du temps d’explorer le lieu dans lequel nous nous trouvons pour récupérer quelques objets nous permettant d’avancer et/ou de résoudre un puzzle. Bien évidemment, les différentes zones sont souvent labyrinthiques, bercées dans une obscurité des plus aveuglantes, et il arrive même qu’une créature mal intentionnée y rôde.
Classique, la progression ne vient en rien bouleverser les codes du genre et devient assez routinière à la longue, si bien que les habitués seront vite en terrain conquis.
D’ailleurs, le gameplay est quasiment similaire à celui du premier opus. On peut presque tout prendre en main, fouiller le moindre tiroir et le plus petit des vases pour y trouver des objets utiles. Et quand on dit « objets utiles », on parle plus précisément d’allumettes ou encore d’huile pour notre torche, car comme par le passé, l’obscurité n’est en aucun cas notre alliée, bien au contraire.
Être trop longtemps dans un endroit obscur, sans lumière, crée chez Tasi une réaction viscérale et violente qui se traduit par une distorsion violente de l’image à l’écran. L’écran devient flou, s’assombrit et les formes s’étirent de plus en plus, jusqu’à ce que la jeune femme périsse.
L’obscurité n’est pas le seul conducteur de ces crises, car lorsque Tasi observe trop longtemps un élément stressant, comme quelques cadavres mutilés ou encore une hideuse créature, ce phénomène de distorsion se produit aussi et est tout aussi mortel. Rassurez-vous, cette fatalité ne s’enclenche pas en un claquement de doigts et vous aurez le temps de réagir. Et pour ce faire, il faut soit tourner le regard, soit s’éclairer à l’aide d’allumettes, de torches, de bougies ou de votre lanterne dans les endroits sombres.
Seule grosse ombre au tableau, les outils permettant de s’éclairer sont disponibles en surabondance dès lors que l’on économise un peu et que l’on fouille correctement les lieux dans lesquels on se trouve. Là où The Dark Descent savait se montrer juste sans en faire trop, Rebirth prend le parti de se montrer plus accessible en oubliant au passage que c’est aussi grâce à cette menace de pénurie que la peur gagne les joueurs.
Cependant, Frictional n’a pas son pareil dans la gestion du rythme. L’aventure ne souffre d’aucun temps mort et l’équilibre entre moments de stress et d’autres, plus calmes, faisant la part belle à la narration sont quasiment parfaits. Une fois la découverte passée, on se retrouve happé par le jeu et il devient très difficile de décrocher, et ce, malgré une ambiance effrayante. La peur du noir reste présente et on se prend à sursauter ici et là grâce à une mise en scène réussie et une ambiance visuelle et sonore léchée.
Alors malgré un manque de difficulté par moment et un gameplay assez archaïque, c’est cette recherche qu’effectue Frictional sur nos peurs primaires, celle du noir et du monstre qui s’y tapit, qui fait mouche. Flippant, le jeu l’est sans aucun doute possible, prenant aussi, et on fait vite abstraction des petits écueils du titre pour se plonger dans un univers de folie et de terreur dont seul le studio suédois a le secret.
Amnesia: Rebirth est une très bonne suite qui ne parvient pourtant pas à réactualiser totalement une formule vieille aujourd’hui de près de 20 ans. Si Frictional Games devait avant tout remettre la licence sur le droit chemin après un second volet assez moyen, on attendait peut-être un peu plus de cet épisode placé sous le signe du soleil chaud algérien.
Si l’histoire, la narration, l’ambiance et les qualités artistiques du titre sont indéniables, on regrette une légère paresse sur les mécaniques de jeu, mais aussi une difficulté très en dessous de The Dark Descent. Si cela rend le jeu plus accessible, les puristes auront bien du mal à y trouver leur compte de ce point de vue.
Cependant, ne retenir que cela serait une erreur, tant l’aventure est généreuse et passionnante. Ne vous y trompez pas, nous avons tu nombre de choses dans les lignes ci-dessus pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, car Amnesia: Rebirth aborde de multiples thématiques fortes et place son propos dans des lieux et environnements étonnants que nous ne pouvons que vous inviter à découvrir par vous-même. Amis amateurs de l’horreur, foncez !