Licence mère du survival-horror, le premier épisode d’Alone in the Dark (paru en 1992) fut une véritable révolution qui inspira grandement par la suite un certain Shinji Mikami pour l’élaboration de Resident Evil. Franchise française créée par nul autre que Frederic Raynal, elle connut tout au long de son épopée vidéoludique des hauts et des bas, jusqu’à toucher le fond avec Alone in the Dark Illumination en 2008.
Depuis, plus aucun jeu de la licence n’a vu le jour avant que THQ Nordic annonce en 2018 racheter la licence et lance quelque temps après la mise en chantier d’un remake du premier opus développé par le studio Pieces Interactive. Projet AA se permettant d’afficher de hautes ambitions en s’attachant les services des comédiens David Harbour (Stranger Things) et Jodie Comer (Le Dernier Duel) pour incarner respectivement le détective Edward Camby et Emily Hartwood. Des ambitions donc, la promesse d’un retour aux sources aussi, mais est-ce suffisant pour en faire un bon jeu ?
(Test de Alone in the Dark sur PlayStation 5 réalisée à partir d’une version commerciale)
À la fois remake et reboot de la licence, Alone in the Dark entend redonner un nouveau souffle à une franchise qui s’était perdu dans les méandres de la médiocrité depuis de longues années. Alors quoi de mieux que de repartir de zéro pour tenter d’exister dans le cercle fermé des survival-horror qui trouvent à la fois un succès d’estime, mais aussi commercial. Du scénario de l’original, on garde alors le cadre, soit le manoir Decerto, les deux protagonistes principaux que son Edward Carnby et Emily Hartwood, ainsi qu’un amour prononcé pour les écrits de Lovecraft.
Car oui, il s’agit bel et bien là d’une réécriture de l’œuvre original qui se veut plus moderne et mature, dans le sens où la narration reprend tous les poncifs du genre de ces 30 dernières années, se permettant même de développer des thématiques propres aux personnages pour tenter de leur apporter un semblant d’âme supplémentaire. Malheureusement, si l’histoire se suit sans déplaisir, les mécaniques narratives sont trop éculées pour convaincre pleinement, et ce, malgré le jeu d’acteur impeccable de David Harbour et Jodie Comer.
Le tout manque cruellement de consistance et n’est en réalité sauvé qu’uniquement grâce à l’ambiance film noir qui règne en maître. On est d’ailleurs plus proche ici du thriller que du véritable film d’horreur et le titre propose en soi de mener une enquête pour retrouver l’oncle d’Emily, Jérémy Hartwood. Plaçant le récit en Louisiane dans les années 30, les équipes de Pieces ont su créer un véritable habillage visuel et sonore de qualité pour accompagner cela et on a réellement la sensation d’être plongé au cœur de cette époque, ce qui permet une immersion totale.
Il faut savoir aussi que contrairement à son modèle, le somptueux, mais exiguë, manoir Decerto n’est plus à « l’abandon », mais est transformé en sanatorium pour riches et est donc peuplé de quelques figures secondaires intrigantes, mais tout de même bien clichées. Cependant, quelques discussions valent le détour, l’écriture étant soignée, chaque interaction avec un second couteau donne lieu à des échanges savoureux.
Il ne faut pas vous attendre à vous retrouver face à un ersatz des remakes de Resident Evil, car le jeu tient finalement plus du jeu d’aventure horrifique qui, il est vrai, garde tout de même un côté survie pour certaines séquences de jeu. Le périple est morcelé entre des segments se jouant dans le manoir et d’autres en dehors grâce à une pirouette scénaristique plutôt bien sentie. On alterne ainsi des segments plus calmes propices à mener notre enquête dans le manoir, à d’autres plus actions dans les lieux tels que les ruelles de la Nouvelle-Orléans ou encore dans un lugubre cimetière.
Cela permet non seulement à Alone in the Dark de varier ses situations de jeu, mais aussi de ne pas nous enfermer dans un huis clos qui n’aurait que trop peu d’intérêt aujourd’hui. Mais malheureusement, la mayonnaise ne prend pas ou jamais vraiment en tout cas. La faute a des errements que l’on ne peut plus tolérer de nos jours et qui font surtout tâches pour un jeu d’une licence aussi prestigieuse.
Alone in the waste
Alone in the Dark fait preuve de suffisance. Le gameplay est lourd, la visée imprécise, le corps-à-corps sans saveur, les boss bâclés, l’infiltration totalement ratée et c’est souvent bordélique quand plus d’un ennemi nous attaque. Le bestiaire lui-même souffle le chaud et le froid, ne parvenant jamais à se renouveler et même si deux ou trois figures uniques tirent leur épingle du jeu, c’est trop peu pour intéresser sur la durée. Durée assez courte d’ailleurs, puisque compter une petite dizaine d’heures pour venir à bout des deux scénarios proposés, parce que l’on peut vivre les événements avec l’un et l’autre des personnages.
Malheureusement encore, hormis quelques variations narratives, ainsi qu’un chapitre sur cinq qui diffèrent entre ces deux épopées, tout est trop similaire pour justifier une telle scission entre les deux protagonistes. Alone in the Dark: The New Nightmare, sorti en 2001, faisait vraiment bien mieux de ce point de vue et on ne peut qu’être déçu du manque d’ambition de ce remake à ce niveau. Car au-delà de ça, l’on retrouve tout ce qui fait le sel du survival : ressources limitées, personnages vulnérables ou encore backtracking en veux-tu en voilà. Un parti pris très old-school se dégage de l’aventure et si cela aurait pu nous séduire, c’est bien trop bancal pour être le cas.
Et c’est d’autant plus dommage que certaines idées font mouches. Le changement constant de décors, même s’il ne faut pas s’attendre non plus à autre chose que des « niveaux » plus ou moins grands, les quelques énigmes et casse-têtes bien sympathiques et encore une fois cette ambiance film noir horrifique qui parvient parfois à mettre sous pression, sans jamais que le jeu ne parvienne à nous faire peur néanmoins. Sursauté oui, notamment grâce à une belle bande-son et quelques bruitages environnementaux bien glaçants.
Mettons aussi en avant une direction artistique maitrisée, car si Alone in the Dark n’est pas un foudre de guerre technique, loin de là même, vu le nombre hallucinant de bugs en tous genres rencontrés (softlocks, bugs de collisions et baisses de framerate en pagaille), il faut bien reconnaitre que le manoir et quelques autres décors font leur petit effet, même si très inégaux pour le dernier point. Diverses images cauchemardesques parviennent même à sauver les meubles d’une mise en scène trop sage, on pense à la séquence de l’inondation ou encore quand le manoir change du tout au tout d’un coup d’un seul. Voilà des choses que l’on aurait aimée plus fréquente.
Certes, parcourir ce nouvel épisode n’a pas non plus été un calvaire et quelques passages sortent du lot, mais lorsque l’on affirme haut et fort qu’ici né le renouveau d’une saga, il faut savoir mettre ses moyens au service de ses ambitions. Si l’on devait résumer notre escapade dans le manoir, nous dirions intéressante, mais plate, avec quelques sursauts apparaissant ici et là sur l’encéphalogramme. Est-ce assez pour les fans de la licence ? Peut-être. En tout cas pour nous, c’est insuffisant sur trop de choses pour que l’on puisse exprimer haut et fort que la saga est bel et bien de retour au premier plan.
Sans être un ratage total, Alone in the Dark ne parvient jamais à sortir d’une certaine médiocrité, et ce, malgré toute la bonne volonté affichée par Pieces Interactive. Trop de soucis techniques, de problèmes de gameplay et de rythme plombent un scénario, une ambiance et une direction artistique plutôt pas mal. Si David Harbour et Jodie Comer régalent, on ne peut s’empêcher de se demander ce qu’aurait pu être le jeu sans cette folie de payer le cachet de tels acteurs avec un budget semble tout limité.
On n’en retiendra pas grand-chose et même le parti pris old school du gameplay n’est pas parvenu à faire fonctionner la machine de la nostalgie (malgré quelques easter eggs sympathiques) qui aurait pu nous permettre de fermer les yeux sur certaines approximations. Peut-être faudrait-il laisser cette licence reposer en paix maintenant, car à moins de revoir intégralement la copie pour une suite, on peine à voir comment empêcher le navire de sombrer dans des eaux sombres une nouvelle fois. Décidément, la franchise est réellement seule dans le noir…