Rétro (mais pas trop), c’est la chronique qui rebondit sur l’actualité pour revenir en arrière et évoquer l’histoire d’un jeu vidéo, ou du jeu vidéo. Avec ce numéro, on profite de la sortie imminente du remake de Silent Hill 2 pour revenir sur le jeu de 2001 qui est considéré par beaucoup encore aujourd’hui comme le meilleur survival-horror de tous les temps.
Parler de Silent Hill 2, c’est un peu comme se lancer dans un mémoire sans véritablement savoir quelle en sera la finalité. Ce jeu est tellement dense thématiquement, possède de si nombreuses clés de compréhension, qu’il est très difficile de le résumer en quelques mots. Il est avant tout une aventure qui se doit d’être vécue pour être comprise, et de préférence plusieurs fois pour réussir à en saisir toutes les subtilités. Avant Silent Hill 2, le survival-horror n’avait jamais accouché d’un titre aussi fort dans son propos, aussi riche dans son écriture, et aussi incroyable dans son ambiance. Ce fut une révolution qui lui vaut aujourd’hui le statut d’oeuvre culte.
Sorti en 1999 sur PlayStation, Silent Hill créa l’événement et se montra être à la fois une belle alternative à son concurrent Resident Evil, tout en étant totalement différent aussi bien sur le fond que sur la forme. SH est beaucoup plus de niche que son homologue par exemple, misant avant tout sur son ambiance, son parti pris narratif et sa manière de distiller son horreur, que certains appellent psychologique. Moins frontal que Resident Evil, Keiichiro Toyama, alors jeune réalisateur, s’inspira d’œuvres telles que The Mist, L’Échelle de Jacob ou encore tout un pan du cinéma de David Lynch (Lost Highway en tête), pour créer son univers glaçant et terrifiant.
Et sans atteindre le succès de son homologue de la maison Capcom, Silent Hill fut un beau succès, autant critique que commercial, même s’il ne trouva pas forcément son public au Japon. Toyama étant devenu un des hommes du jeu vidéo les plus en vue à l’époque après la sortie du jeu, il prit la décision de rejoindre Sony pour continuer son aventure horrifique et nous pondre sur PlayStation 2 quelques années plus tard un certain Forbidden Siren. Mais cela ne marquait pas là la mort de la licence de Konami, bien au contraire, puisque le jeu qui allait suivre est toujours considéré aujourd’hui comme l’un, si ce n’est, le meilleur survival-horror à avoir vu le jour.
La naissance de Silent Hill 2
De Silent Hill naquit une petite équipe de développeurs, pour la plupart débutants, que l’on appelle communément la Team Silent, bien que cette appellation n’ait rien d’officielle. Après le départ de Toyama, et au vu du succès de son jeu, Konami n’entendait pas en rester là et décida de donner le lead du second épisode à un dénommé Masashi Tsuboyama, et de confier les reines de la production à Akihiro Imamura. Décision fut prise de ne pas faire de Silent Hill 2 une véritable suite, les deux têtes pensantes et le scénariste Hiroyuki Owaku souhaitant explorer d’autres pistes de réflexion autour de la ville, tout en amenuisant drastiquement le côté occulte de Silent Hill, qui mettait en scène un culte dédié à un diabolique dieu païen.
Et c’est là la première bonne idée de Silent Hill 2, car en faisant cela, ses développeurs permirent aussi aux autres suites de créer leur propre univers en cette ville, tout en interconnectant les différentes histoires racontées via des éléments de background faisant de l’endroit un enfer continu pour les âmes qu’il entend juger. Chaque personnage que l’on incarne ou que l’on croise dans la brumeuse citée est alors prisonnier de son propre purgatoire, et aucun ne se ressemble, ce qui fait que l’on peut raconter un nombre infini d’histoires dans le lieu, sans que cela ne casse une quelconque cohérence de propos.
Owaku et Tsuboyama voulaient aussi jouir d’une certaine liberté de ton et de propos dans l’élaboration du jeu, et cela aurait été difficilement possible en mettant en chantier une suite dans le sens premier du terme.
Il faut aussi savoir que contrairement à la licence Resident Evil, Silent Hill n’avait connu qu’un seul opus sur PlayStation et de ce fait, la licence ne s’était pas installée sur le marché comme l’était celle de Capcom. Konami avait alors peur que de sortir une suite directe sur une autre console, même s’il s’agissait de la PlayStation 2, ne puisse déboucher que sur un échec commercial, car laissant sur le bas-côté bon nombre de joueurs n’ayant pas fait Silent Hill. L’aval fut donc donné à ce perturbant projet qu’est Silent Hill 2. Ce qui n’empêcha pas ce dernier de connaitre des ventes décevantes…
Une œuvre unique et perturbante
Silent Hill 2 n’est pas un jeu à mettre entre toutes les mains, les thématiques qui y sont soulevées et développées, de manière abstraite ou non, rendent son accomplissement souvent assez rude pour notre propre psyché, tant il est cruel dans ce qu’il dit et montre.
Et c’est là qu’entre en jeu une véritable part de subjectivité, car le titre peut ne pas toucher tout le monde, il y est beaucoup question de la sensibilité de chacun face à ce qui est raconté. Si l’on vous dit par exemple qu’aussi horrible soit-il, Silent Hill 2 est en fin de compte une histoire d’amour terriblement triste et fataliste, nous croiriez-vous ?
C’est pourtant le cas, Silent Hill 2 est une sorte de tragédie grecque qui nous embarque dans une toile de destins entremêlés dans laquelle il est parfois difficile de dissocier le songe du réel et qui s’avère finalement d’une noirceur insoupçonnée. La révélation de fin, ainsi que sa mise en scène, en a laissé plus d’un sur le carreau, certains ayant même versé des larmes, tant la cruauté de la séquence est compliquée à gérer émotionnellement.
James Sunderland se lance à la poursuite d’une chimère tout le long du jeu, il espère retrouver dans Silent Hill sa femme, Mary, décédée trois ans auparavant des suites d’une maladie. Une lettre reçue quelques jours avant son aventure de la part même de sa défunte épouse fut son invitation à la rejoindre à cet « endroit spécial » pour leur couple. Un lieu qui devait être synonyme de bonheur dans un passé diffus et éteint. Cela marque pour nous le point de départ de notre périple aux côtés de James, qui se révélera être un personnage perturbé et secret. Dans sa version de la ville, tout y est plus lourd qu’autrefois, que ce soit l’épais brouillard qui l’habille, les monstruosités qui s’y terrent ou encore la folie qui y règne.
« L’other World », ou la version cauchemardesque de la ville, y est paradoxalement beaucoup moins déstructuré que dans le premier épisode. C’est certes sale, poisseux, surréaliste, mais sans pour autant que l’on ne tombe dans le gore absolu du premier jeu. Et c’est là l’un des points essentiels de son développement, la Team Silent essayant constamment de nous maintenir dans un équilibre difficile qui consiste en nous attirant dans les méandres du jeu, tout en nous repoussant à la fois. Oui, il y avait des idées derrière l’élaboration de Silent Hill 2, de grandes idées qui auraient pu ne pas fonctionner, mais ce n’est pas le cas ici, puisque le titre se montre très avant-gardiste et ne rate absolument aucune chose qu’il entreprend de mener.
L’horreur s’écrit dans une lettre d’amour
Parce qu’à y regarder de plus près, le scénario en tant que tel pourrait se résumer en une phrase, que nous n’écrirons pas pour garder l’élément de fin secret. Et c’est dans la manière de raconter cette histoire, de brouiller les pistes, de nous plonger dans un océan d’incertitudes que la Team Silent, et surtout Owaku, réussi à nous tromper, tout en nous passionnant par la même occasion. De nombreux éléments présents en jeu nous donnent des indices sur la finalité de l’aventure, alors que d’autres nous font perdre toute confiance en ce qui nous est dit.
Par exemple, plus l’on avance dans le jeu, plus la lettre de notre femme s’efface, pourquoi ? Aussi, que signifie réellement ce courrier que Mary aurait laissée pour Laura, à Rachel, infirmière à l’hôpital de Brookhaven ? Tout le jeu nous nous sentons constamment démunis, car il semble nous manquer une pièce importante du puzzle, que seul James possède, ou pas d’ailleurs, et la révélation finale fait alors l’effet d’une véritable bombe.
Tout prend sens, chaque élément présent en jeu, du bestiaire aux lieux que l’on visite, en passant par la présence de Laura et Maria, ainsi que l’apparition de la figure de Pyramid Head, tout trouve un écho dans cette seule courte et intense séquence. De là, la toile prend forme et devient un chef-d’œuvre d’écriture qu’il est encore aujourd’hui rare de voir dans notre média. Silent Hill 2 est un jeu d’une finesse infinie malgré son décorum horrifique, d’une poésie aussi belle qu’une fleur qui se fane au gré du temps, il parvient à atteindre des sommets narratifs qui serviront de modèle pour la suite à des titres tels qu’Alan Wake et donnera matière à des studios comme Bloober Team pour l’élaboration de quelques-uns de leurs jeux, The Medium étant le parfait exemple, mais pas que.
C’est touchant et brutal. Ce que James vit et pourquoi il le vit ainsi l’est. Il est rare de voir qu’au sein d’une équipe de développement de jeu vidéo qu’un poste soit consacré entièrement à la création de toute la dramaturgie d’une histoire, et c’est le cas ici. Suguru Murakoshi était donc chargé de cela de part son poste de directeur dramatique, et le moins que l’on puisse dire, c’est que sa mission fut plus qu’accomplie. Mais au-delà du « héros » qu’est James, il fallait pour l’accompagner dans sa descente aux enfers une galerie de personnages tout aussi réussis.
Ce qui est et n’est pas
On en parlait un peu plus haut, Silent Hill 2 brouille constamment les pistes sur ce qui est réel et ne l’est pas. Les différents personnages ne dérogent pas à cette règle. Les deux plus marquants étant sans aucun doute Laura et Maria. La première est une petite fille qui parait avoir connu Mary, et qui nous déteste par la même occasion. Elle semble là pour nous renvoyer à une certaine culpabilité que l’on devrait ressentir, nous mettant constamment des bâtons dans les roues et nous aidant occasionnellement, on ne sait trop quoi en penser durant toute l’aventure. C’est une peste, énervante, et elle est voulue ainsi. Mais que fait une fillette si jeune dans cette ville peuplée de créatures immondes et auxquelles elle parait totalement hermétique ? Est-elle seulement réelle ?
La question se pose aussi pour Maria qui, comme l’indique James lors de leur première rencontre, pourrait être la jumelle de Mary, tant elles se ressemblent. Sauf qu’il n’en est rien et que l’on ne saisit qu’après de longues heures les vraies raisons de sa présence. Elle représente, sans trop en dire, les désirs cachés de James, comme la fatalité à laquelle ni lui, ni elle, ne peuvent échapper. C’est probablement l’un des personnages les mieux écrits de l’histoire du jeu vidéo, et bien entendu, sans aucun doute celui de Silent Hill 2.
Mais on y croise aussi Angela, une jeune femme de 19 ans qui en parait la trentaine, ainsi qu’Eddy, un petit homme grassouillet qui est totalement dérangé. Les deux le sont d’ailleurs, et leur apparence physique est aussi justifiée par leur histoire. Car il ne fait que peu de doutes que ces deux-là sont bien réels, mais vivent leur propre Silent Hill, plongés dans leurs propres cauchemars. Forcément, on les croise régulièrement et assistons, participons, à la fin de leur calvaire avant le nôtre, et autant dire que les thématiques soulevées les concernant sont aussi glauques que les nôtres. L’inceste, la violence, le harcèlement, pour ne citer que cela, sont autant de sujets graves que le jeu prend en main de traiter à travers eux.
Et tout ceci est là encore très perturbant, surtout que les dialogues, qui semblent pour le coup très inspirés par ceux que l’on peut voir dans du Lynch, le sont tout autant. L’écriture se montre, à ce niveau-là, très cinématographique, juste et véritablement parfaite pour l’œuvre qu’est Silent Hill 2. Aucune fausse note, malgré la dissonance des conversations par rapport aux événements. Cela paraît toujours irréel et c’est exactement l’effet recherché par Owaku et Tsuboyama, car la question se pose : est-ce que tout ce que l’on vit dans le jeu est réel ou est-ce que cela se passe intégralement dans le cerveau malade de James ?
Silent Hill 2, ce chef-d’oeuvre
On pourrait encore développer des heures durant nombre de choses et de sujets autour de Silent Hill 2. Parler en détail du bestiaire, dont chaque monstre renvoie à la psychologie et aux actes passés de James, ou encore nous concentrer sur Pyramid Head, dont la présence a un sens intimement liée à notre protagoniste. Mais Silent Hill 2 doit se découvrir, au travers de l’original ou du remake, peu importe, il faut le faire et le refaire pour percevoir ses nombreux niveaux de lecture et tenter d’en percer les mystères.
Tout n’y est d’ailleurs pas expliqué noir sur blanc, et l’interprétation est souvent de rigueur, mais l’essentiel est incroyablement fort, puissant, et même vingt ans après cela n’a pas pris une ride, au contraire forcément du gameplay et des graphismes. D’ailleurs, si l’on parle direction artistique, dirigée par le génialissime Masahiro Ito, que l’on retrouve aussi à la conception du bestiaire, là aussi c’est du grand art. Le jeu est très graphique, aussi bien par sa violence, que par sa narration, et même s’il peut paraitre destructuré, il est d’une cohérence folle, parvenant à nous procurer nombre d’émotions contraires par une seule image. De là nait la facination du macabre.
Les décors racontent autant d’histoires que le reste. Le tout est bien évidemment porté par une des meilleures bandes originale du jeu vidéo, composée par Akira Yamaoka, et elle participe aussi bien aux envolées émotives du titre, qu’à le rendre toujours et toujours plus angoissants, nous plongeant dans une peur qui appartient plus à l’invisible qu’au visible, et cela se fait souvent sous un fracas de bruits expérimentaux qui participent grandement à l’immersion.
Silent Hill 2 est un chef-d’œuvre. Un de ces jeux qui transcendent le média et qui resteront à jamais dans son histoire. Jamais on ne l’oubliera et jamais il ne nous oubliera. Il est d’un nihilisme trop rare, d’une maturité de ton et d’écriture qui révolutionnèrent un pan entier du jeu vidéo et est un exemple encore aujourd’hui de comment écrire et raconter une histoire, aussi tragique soit-elle. Sachez, pour finir, que tout récit ne se termine pas sur un happy end et que c’est le cas ici, car la vraie fin du jeu est aussi la plus… dure.
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