Avant Armada, le premier roman d’Ernest Cline fut un instant-classic : Ready Player One. Immédiatement acheté par Steven Spielberg qui en réalisa une adaptation au cinéma, le roman (et le film, du coup) était une déclaration d’amour à toute la pop culture des 80’s, et en particulier aux jeux vidéo. Bourré de références, le roman réussissait à nous raconter une aventure épique tout en retraçant l’histoire du média. Malin, le livre jouait sur les deux tableaux : la fibre nostalgique de ceux qui avaient connu les Commodore 64 et autres Atari 2600, et la découverte de cette époque pour les plus jeunes lecteurs.
La couverture française d’Armada et son hommage appuyé à Space Invaders nous laissaient penser que l’auteur allait nous refaire le coup. Mais ce n’était peut-être qu’une histoire de marketing. Après tout, la couverture originale était plus dans le style Stranger Things. Ouais, bon, pas rassurant non plus, en fait…
Star 80
The Next Starfighter
Zack Lightman est un ado que l’école considère comme “perturbé” : des moments d’absence (psychologiques, pas d’absentéisme scolaire) et des accès de violence entachent son dossier. Evidemment, tout le monde explique ces problèmes par le fait qu’il a grandi sans père. Ce dernier est en effet mort dans un accident à l’usine où il travaillait alors que Zack n’avait pas encore deux ans.
À la maison, par contre, Zack s’accroche. Il a un petit boulot dans une boutique de jeux vidéo au centre commercial local, pour aider sa mère, aide-soignante, qui l’a élevé seule. Et puis Zack a ses deux meilleurs amis, qu’il retrouve sur des parties d’Armada, une simulation de combat spatial dont il est l’un des tout meilleurs joueurs au monde.
Quand il n’est pas plongé dans ses parties en ligne, c’est dans le passé de son père disparu que voyage Zack. Avant lui, Xavier Lightman était déjà un grand fan de jeux vidéo. Un peu trop peut-être. Il exposait en effet des théories délirantes dans des carnets, où il expliquait que les films et séries de science-fiction depuis la fin des années 70 et la sortie de Star Wars étaient un immense plan du gouvernement pour habituer les peuples à l’idée de l’invasion d’aliens. Autre rouage de la machination, les jeux vidéo auraient eux aussi leur rôle à jouer : ils seraient, d’après Lightman père, un moyen pour le gouvernement de recruter ses nouveaux agents…
Sans trop spoiler, chacun aura deviné que le père avait visé juste avec ses élucubrations, et que le fils, excellent pilote dans ses jeux en ligne, sera bientôt recruté comme pilote «pour de vrai».
Une histoire qui en rappelle furieusement une autre aux plus anciens : c’est exactement celle que raconte un film de Nick Castle sorti en 1984, The Last Starfighter.
L’auteur semble s’en dédouaner en citant à au moins deux reprises le film dans Armada. Faute avouée à moitié pardonnée ? Cela nous laisse quand même une bonne moitié d’accusation de plagiat…
New Game +
Avec cette citation géante ou copie (au choix) d’un film purement 80’s, et surtout les carnets du père, noircis de culture pop des années 80, de Star Wars (évidemment) à Star Trek (évidemment aussi) en passant par Battlestar Galactica (l’original de 1978, pas celui avec Tricia Helfer) pour le cinéma et la télé, ou encore Asteroid, Galaga ou même Portal en ce qui concerne le jeu vidéo, on se dit qu’Ernest Cline va nous refaire le coup de l’étalage de références, comme dans Ready Player One.
Et… C’est le cas ! Au moins le premier tiers du bouquin. Cela s’estompe un peu par la suite, sans disparaître totalement non plus : c’est quand même le fond de commerce de l’auteur…
Du coup, entre le plagiat de The Last Starfighter et la redite de son précédent bouquin, il ne reste plus beaucoup de place pour la surprise et l’originalité. Armada se déroule donc en ligne droite, chaque péripétie est attendue gros comme une maison un Destroyer stellaire de classe Impériale (allez, jouons nous aussi le jeu des citations !), sans jamais qu’aucun twist ne viennent donner du mouvement au récit. C’est cliché, c’est facile et c’est prévisible. On espère jusqu’à la fin qu’un événement vienne faire sortir un peu l’histoire des rails, mais comme dans un jeu vidéo des années 80, on est en scrolling horizontal, en 2D, avec l’impossibilité de s’écarter du chemin !
Game Over
Cette histoire en ligne droite, simple, voire simpliste, fait pencher le roman du côté de la publication jeunesse. Les personnages sont manichéens, et les enjeux sont évidents. Mais avec son défilé de références du siècle dernier, difficile de croire qu’on s’adresse bien à des pré-ados !
À la fois paradoxe et ratage, on perçoit ici les limites du modèle Cline : si le monsieur possède en effet une solide culture geek, il lui manque peut-être le talent pour construire quelque chose avec ce matériau brut. Un bûcheron n’est pas ébéniste. Ou, pour rester fidèle au motif, contrôler la Force ne fait pas de toi un Jedi.
L’autre très gros problème qu’on rencontre avec Armada, c’est sa traduction française. Un bon point ici pour l’auteur : il n’y est pour rien ! Il semble en effet que le traducteur ne maîtrise pas toutes les références citées dans le roman, même les plus évidentes. Ainsi, alors que la mère du héros cherche à obtenir des explications de son fils, on peut lire :
“Tu ne passeras pas ! S’est-elle exclamée d’un ton théâtral, en tapant du pied une seule fois.”
La référence est évidente, et évoque Gandalf faisant face au Balrog. Sauf que – et le nerd à qui s’adresse le bouquin l’aura immédiatement repéré – la citation exacte utilise la deuxième personne du pluriel (“Vous ne passerez pas!”). Gandalf est un mage poli.
D’accord, c’est anecdotique. Mais qu’une citation aussi connue soit inexacte dans une œuvre construite justement sur la citation reste selon nous problématique.
Plus embêtant encore, certains clins d’œil semblent avoir complètement échappé au traducteur, rendant le texte maladroit :
« Et maintenant, comme mon père avant moi, j’en payais le prix. J’étais monté dans un train fou qui allait dérailler. J’entendais presuqe Ozzy Osbourne beugler : « En voiture ! » «
On se demande ici si le traducteur a bien saisi la référence à Crazy Train, la chanson d’Ozzy Osbourne, pourtant nommément cité. Le morceau, le premier de la carrière solo d’Ozzy après Black Sabbath, commence par ces mots :
“All aboard !”
Expression traduite par “En voiture ! ” dans la version française d’Armada. Pourquoi ? Pourquoi tout d’un coup Ozzy se mettrait-il à parler français ? D’autant que d’autres chansons citées dans le roman l’ont été telles quelles, en anglais.
En connaissant le texte d’Ozzy, et en lisant la traduction, un lecteur averti fera le parallèle : “ I’m going off the rails on a crazy train…” dit le refrain, traduit littéralement dans le roman. Mais forcément, ça ne veut plus rien dire en français… Comme si on faisait dire “Let’s go, kids…” à un jeune révolutionnaire dans un roman traduit du français vers l’anglais. Si le “Allons, enfants…!” fera immédiatement écho, sa traduction littérale n’aura plus de sens, ou en tout cas un sens limité, très premier degré.
Et au-delà de la traduction, c’est peut-être symptomatique du texte dans son entièreté : premier degré à la fois dans son histoire, dans ses enjeux, mais aussi dans sa façon d’utiliser ses références.
Ernest Cline capitalise sur la recette et le succès de Ready Player One, mais peine à se renouveler. Certes, la culture geek est toujours présente, mais la formule se retrouve déjà – ce n’est que le second livre de son auteur – face à ses propres limites, et l’auteur est forcé d’aller plagier un vieux scénario de série B. Ready Player One s’affirme alors comme one hit wonder, comme on dit en musique, et Ernest Cline se révèle en Blind Melon, Tasmin Archer ou Fools Garden qui n’ont jamais su rebondir après leur unique succès respectif (No Rain, Sleeping Satellite et Lemon Tree).
Si l’auteur ne se débarrasse pas de son moto (la citation 80’s), on peut d’ores et déjà prédire qu’il n’y aura pas de troisième roman ; ou, en tous cas, pas un bon troisième roman. Armada est de toutes façons vendu à Hollywoold depuis 2012, sur la base d’un manuscrit de 20 pages (et la hype de Ready Player One). S’il en sort quelque chose, et on peut raisonnablement en douter, nous pourrions le voir arriver chez nous discrètement et sans honneur sous la forme d’un direct to DVD…