Aujourd’hui, l’âge moyen d’un joueur est de 34 ans en France. Ce qui peut nous laisser présager que le joueur moyen a un background vidéoludique correct. Et corrélé avec le fait que 85% des jeux vendus sont des suites ou des franchises (selon le documentaire Playing Hard), nous pouvons donc en déduire que ce joueur moyen, qu’on appellera Michel, ira généralement acheter des jeux qui lui évoquent un souvenir. Et cette réaction, qui est l’un des leviers qui poussent à l’achat, n’a point d’autre source que la nostalgie.
Et aujourd’hui, la grande question à laquelle nous allons essayer de répondre, c’est quel est l’impact de la nostalgie dans le jeu vidéo ? Pour vous mettre dans l’ambiance, jingle !
Pourquoi la nostalgie est-elle au centre des préoccupations ?
Tout d’abord, définissons ensemble ce qu’est la nostalgie. Sémantiquement parlant, c’est avoir le mal du pays. Ce qui peut se traduire dans le jeu vidéo par le sentiment mélancolique que l’on ressent lorsque l’on repose un jeu terminé sur une étagère. On parlera ici de « nostalgie instantanée », car elle arrive ponctuellement, et n’a pas de rapport plus grand que l’œuvre à laquelle elle est rattachée. À contrario de la nostalgie « Madeleine de Proust », beaucoup plus chargée émotionnellement parlant, et qui nous renvoie directement à une période de notre vie.
Intéressons nous à la Madeleine de Proust vidéoludique, celle que l’on crée par définition pendant l’enfance, à un moment où la majorité de nos goûts se forment. Une époque de notre vie où nous sommes de véritables éponges sur pattes, faisant de nous les cibles parfaites d’une stratégie à long terme. Une analyse sans nul doute portée par Nintendo, qui est sans conteste le boss du game dans le domaine, via ses licences familiales et de qualité dont le plus souvent les enfants sont les seuls dépositaires. Des hordes de chiards sont ainsi biberonnés au Zelda et au Mario et porteront à vie les marques indélébiles que ces jeux auront laissées en eux, les prédisposant à une fidélité sans bornes envers Nintendo.
C’est sans doute pourquoi aujourd’hui la moindre annonce d’un nouveau jeu Zelda provoque des émules dans la geekosphère, car au-delà de la promesse probable d’un bon jeu, nous avons quelque part en nous ce souvenir cher d’une expérience incroyable dans laquelle nous replongerions avec plaisir.
Aussi, il est important de bien avoir en tête qu’un jeu se produit parce qu’il pourrait théoriquement se vendre. Tel un produit lambda, le jeu vidéo est défini dans sa création par sa capacité à ramener de l’oseille. Et à une époque où 3% des jeux génèrent 90% de profit, il est compliqué de ne pas faire un four. Dans un excellent article du Monde, on peut voir que le budget d’un jeu indé avoisine les 130 000 €. Imaginez maintenant la dérouillée pour une équipe de développement si un jeu avec un budget de AAA se vautre. Des échecs pouvant d’ailleurs parfois tuer des studios, incapables de se relever de leur échec commercial, en dépit d’un jeu final pourtant de bonne facture.
Nous sommes donc dans une situation où l’argent doit rentrer impérativement, pour se permettre plus tard de prendre certains risques. Et si la solution de la suite d’un jeu à succès est une option viable, il y a encore mieux : la réédition.
Nintendo, maître incontesté des Member Berries, et pionnier en la matière, a inondé le marché de divers remasters ou de simples rééditions, et ce depuis la Game Boy Advance, qui possédait dans son catalogue une partie des jeux de la Super NES. Un passif qui prédestinait déjà la future Switch au cimetière des éléphants qu’elle est aujourd’hui. Un système bien évidemment repris par d’autres, car il possède de nombreux avantages : c’est moins cher, et il y a moins de risques sur le plan commercial, car la licence possède déjà une fanbase.
La nostalgie, dans ce qu’elle apporte de meilleur… et de moins bon
Faire passer un nostalgique à la caisse, c’est en vérité assez simple, et l’on va voir ensemble dans le paragraphe qui suit les différents niveaux de respect des éditeurs envers les joueurs via leur proposition. Car comme partout, il y a du bon, et… du moins bon.
On attaque d’entrée avec les rééditions qui, comme n’importe quel jeu, comportent leur lot de bons élèves et leurs tablées du fond garnies de parfaits enfoirés. Mais parmi ces petits enfoirés, il y en a un qui est armé d’une immunité incroyable : Nintendo. La firme nippone est passée maître dans l’art de refourguer ses jeux plusieurs fois, et le plus souvent au prix fort, sans jamais recevoir un quelconque blâme de la part de sa communauté. Ces derniers gamers, au contraire, sont généralement tout excités à l’annonce d’une réédition. Il n’y a qu’à voir la hype autour des 35 ans de Mario et des possibles rééditions qui y seront présentes. Et croyez-moi, lorsque le jeu sortira, il ne sera pas à prix discount. Et le plus fantastique dans tout ça, c’est que Nintendo sera grassement remercié de nous offrir un peu de nostalgie à 40-60€.
Et que dire de Link’s Awakening qui, a mon sens, s’il ne figure pas parmi les mauvais remakes (grâce à sa direction artistique notamment), est l’exemple type d’un jeu nostalgique à la Nintendo, trop frileux pour proposer une vraie nouvelle expérience pour son classique de la GameBoy.
Et au fond, c’est beaucoup de ce que je reproche aux rééditions. Bien souvent, elles partent du principe que j’ai toujours l’âge que j’avais lorsque j’ai fait le jeu d’origine. Or, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Oui, ma nostalgie me ramène bien à une époque définie de ma vie, mais avec le passif d’un joueur plus expérimenté, toujours avide de découvertes, et ne pouvant pas se contenter de manger inlassablement le même jeu lifté pour son époque.
Ce genre de remake existe, et on vient de vivre une master class en la matière récemment avec Final Fantasy VII Remake. Car oui, on joue la carte de la nostalgie à fond, mais on ne se contente pas de vous claquer la rétine. Le système de jeu a été repensé, la narration a été plus poussée que jamais, et clairement, on finit le jeu avec une impression nouvelle sur l’œuvre dans son ensemble, prouvant que faire raquer avec panache, c’est possible.
Un état d’esprit que l’on retrouve aussi dans cette mode du néo-rétro, l’un des fers de lance du JV indépendant. Développés par des amoureux du JV à l’ancienne, ces derniers jouent avec brio sur les codes des différents œuvres et genres de l’époque afin de nous en livrer des versions très personnelles, comme par exemple l’excellent Wargroove, qui est un vibrant hommage à la série des Advance Wars développée par Intelligent System. Une preuve que la nouveauté, si bien amenée, a sa place aux côtés de nos souvenirs nostalgiques. Cependant, il y a une variable à prendre en compte qui donne une liberté aux studios indépendants dont parfois rêveraient les plus gros : la pression de la fanbase.
Pas tous égaux face à la nostalgie
Piliers essentiels du jeu vidéo, nous, joueurs, ne sommes pas non plus exempts de tout reproche. Comme face à toute situation, nous avons des comportements différents, et la nostalgie ressentie face à une œuvre ne fait pas exception. Et c’est l’un des points cruciaux ici, qui rend la notion de nostalgie anti-manichéenne par excellence. La nostalgie n’a de positif ou négatif que son interprétation, pas son origine.
Et son origine, le joueur la puise dans le sentiment d’appartenance qu’il éprouve pour le jeu. Une appropriation personnelle en quelque sorte, qui transforme d’un coup le consommateur en propriétaire. Et à travers ce méli-mélo de fonctions, l’on y perd en objectivité, car ce à quoi nous appartenons est forcément bien, évidemment.
C’est ainsi que les développeurs se retrouvent sur une corde raide, car chaque choix sur une suite sera passé au crible. Et afin d’illustrer un peu tout ça, parlons un peu du joyeux bordel provoqué par Pokémon Épée et Bouclier.
À mon sens, cette licence est l’exemple parfait de l’appropriation émotionnelle d’une œuvre. Ma génération (qui était la cible à l’époque) a poncé les premières versions à un âge allant de 6 à 12 ans. Nous avons grandi avec Pokémon, qui a su évoluer avec nous, renforçant un sentiment d’appartenance, et transformant un simple jeu en un « compagnon de route » de notre vie réelle. Et puis un jour, l’on se réveille à 30 ans, et on commence à se plaindre de la trame de jeu archi-répétitive, puis du design pourri des nouvelles bestioles. Sauf que, cher trentenaire, Pokémon, ce n’est pas TON jeu. C’est un jeu créé pour une communauté, dont tu fais partie, certes, mais où nous retrouvons aussi Mathéo, 7 ans, pour qui il s’agit de son premier jeu. Et qui sommes-nous pour priver ce nouveau venu d’une expérience similaire à la nôtre ?
Alors attention, je ne dis pas que Pokémon est seulement un jeu pour enfants, mais que la nostalgie a de difficile le fait qu’elle est inscrite dans une temporalité. Ainsi, ton toi de 8 ans cohabite avec ta version actuelle de trentenaire le temps d’un instant, et parfois, il est compliqué de faire la part des choses.
Et aujourd’hui, avec la possibilité de shitstormer en direct un studio de développement pour parfois ne serait-ce qu’une bribe de décision, il devient de plus en plus ardu pour les créateurs de s’exprimer sur quelque sujet que ce soit, et cela complique de facto le processus créatif du jeu.
Testeur et nostalgie
Je trouve important d’aborder notre rapport à la nostalgie dans la lecture d’un jeu, car régulièrement, les rédacteurs peuvent être critiqués dans leur travail pour un manque d’objectivité. Donc, remettons quelques pendules à l’heure !
Tout d’abord, il va de soi que l’on note un jeu en fonction de notre ressenti in-game, et partant de ce fait, nous pourrions retrouver au sein de notre rédaction différents avis pour un jeu identique, basés sur nos habitudes de jeux, nos attentes, et notre background vidéoludique. Et face à des avis partagés, lequel prendre en compte dans ce cas ? Eh bien, le vôtre, tout simplement. En tant que rédacteurs, nous nous efforçons de vous livrer une vision du jeu qui, bien qu’éclairée, réfléchie et argumentée, ne fait nullement office de vérité.
De ce fait, bien entendu, la nostalgie est une variable avec laquelle nous devons composer parfois. En atteste l’excellent test de notre rédacteur Danceteria pour Final Fantasy VII Remake. Un titre qui a beaucoup compté pour lui dans sa vie de joueur, comme dans celle de très nombreuses personnes, et dont l’avis permet à un pan énorme de la cible d’y trouver des réponses. Mais là où la mission de notre ami rédacteur est importante, c’est de n’exclure personne d’un test, car au final, tout le monde est en droit d’acheter FF VII ! Alors c’est là où l’on voit le vrai travail, celui d’aller chercher partout, de faire et refaire, afin que vous puissiez vous sentir concerné à la lecture de l’article, qui que vous soyez.
Et encore une fois, nous avons tous des sensibilités différentes, en attestent les réactions mitigées pour Death Stranding. Et si nous faisons uniquement notre devoir, notre avis ne représentera qu’une façon de voir le jeu.
La nostalgie a ça de fantastique qu’elle influence aussi bien le joueur, que le jeu. Un cercle souvent vertueux, parfois dangereux, mais qui nous connecte de manière continue, nous, amoureux du jeu vidéo. Prisme constant de nos expériences, la nostalgie doit être le point d’ancrage nous permettant de nous développer, mais ne doit nullement être l’objectif final d’un voyage.