Il y a maintenant vingt-cinq ans, nous découvrions l’une des œuvres majeures du jeu vidéo qu’est Metal Gear Solid. Dirigé par monsieur Hideo Kojima, co-écrit avec Tomokazu Fukushima, sous-titré « Tactical Espionage Action », il est l’une des pierres fondatrices du genre action-infiltration et est considéré encore aujourd’hui comme référence en la matière. Tous ceux qui l’ont vécu (même par procuration) se souviennent du trailer diffusé lors de l’E3 1997. Une bande-annonce qui se concentrait sur le gameplay et permettait d’entrevoir les très nombreuses possibilités qu’offrait le titre. Le tout rythmé par le thème iconique du jeu et imagé avec soin, panache et brio.
Une chose est sûre, ce maigre aperçu ne nous avait préparés en rien à la claque en pleine trogne que nous allions tous recevoir avec Metal Gear Solid.
La hype
Oui, en 1998, le phénomène de hype existait déjà. Certes, ce n’était pas amplifié comme aujourd’hui par les réseaux sociaux et autres sites de partage de vidéos comme YouTube, mais via les reportages écrits dans la presse papier et les quelques vidéos promotionnelles qui nous parvenaient sporadiquement. Et que dire des tests imports dans Console + ou Joystick qui nous faisaient saliver et attendre encore un peu plus impatiemment le jeu que l’on convoitait ?
Car si Metal Gear Solid fête ses vingt-cinq ans chez nous, il a soufflé ces bougies-là l’an passé au Japon et aux USA. Très souvent, nous autres Européens étions les derniers servis, quand nous l’étions tout court, car ce n’était malheureusement pas toujours le cas. Faisant la une des magazines, annoncé et célébré lors des sorties imports comme étant le meilleur jeu d’action-infiltration de tous les temps, l’enfant de Kojima avait séduit bien avant sa sortie française, tout comme un certain Resident Evil 2 cette même année.
Le bonus fut qu’en plus, le jeu était accompagné d’une démo jouable de l’un des jeux les plus attendus par bon nombre de joueurs, Silent Hill. Mais surtout, la sortie de MGS fut l’occasion pour beaucoup de découvrir l’un des créateurs les plus reconnus et importants de notre média, Hideo Kojima.
L’œuvre
Metal Gear Solid est peut-être le vrai premier blockbuster du jeu vidéo dans le sens où il était ce qui se rapprochait le plus de la vision que l’on aurait de la retranscription d’un film d’action et d’espionnage en jeu. Kojima lui-même fait régulièrement étalage de son amour des actionners des années 80 et cela a été très clairement une grande source d’inspiration pour la création du titre.
Le design de Snake, tout comme son nom, est à la fois inspiré de Rambo et de Snake Plissken, héros des films New York 1997 et Los Angeles 2013. Le scénario lui-même, traitant de complots gouvernementaux, de SMP nauséabondes, d’essais cliniques secrets, de suprématie militaire ou encore de la course à l’armement nucléaire, emprunte aux théories et faits issus des plus de trente ans de Guerre Froide entre les Alliés et l’URSS.
On y incarne un dénommé Solid Snake, ex-soldat qui est considéré comme une légende des forces armées américaines par ses pairs pour ses faits d’armes à Zanzibar durant lesquels il a éliminé l’un des hommes les plus recherchés de la planète : Big Boss, fondateur de la SMP Fox Hound. Recruté par le général Campbell pour effectuer une dernière mission, il doit se rendre dans le complexe militaire de l’île fictive de Shadow Moses pour libérer le chef du DARPA et mettre hors d’état de nuire les terroristes (ex-FOX HOUND) qui ont pris d’assaut la zone.
Au premier abord, tout ceci s’annonce comme très classique et peu inspiré, même pour l’époque. Pourtant, cette quête mêlant sauvetage et élimination de la menace réserve son lot de surprises et s’avère être d’une profondeur insoupçonnée lorsque l’on se lance dans l’aventure pour la première fois. De nombreuses thématiques se déploient au fur et à mesure de notre avancée, plus moderne que celles liées au postulat de départ. Si la menace est nucléaire, les raisons de cette menace touchent beaucoup plus à l’intime qu’à la simple guerre entre deux camps.
Il y est question d’identité, de clonage, de traumatisme lié aux atrocités qu’engendrent les conflits armés, mais aussi d’amour, d’espoir, de fraternité, de vengeance et de rédemption. Chaque personnage a une histoire, une personnalité, un fond, une raison d’être et de faire, et tout cela se fait au travers d’une narration maîtrisée de bout en bout, même si chez nous cela a été quelque peu biaisé par un doublage VF raté (qui participe néanmoins à la légende du jeu) faisant passer le titre pour un gros nanar.
Metal Gear Solid est bavard, très bavard même, plaçant le joueur sur la touche le temps de raconter ses histoires nombreuses et variées. Par le biais de cut-scenes à la mise en scène cinématographique inspirée ou lors des conversations que l’on a avec nos différents contacts sur notre CODEC, sorte de radio fictive qui fait du Facetime à l’ancienne, il y a dans ce titre des heures de lignes de dialogues toutes plus intéressantes les unes que les autres. Kojima n’avait pas encore atteint les excès de MGS 4, et le tout était rythmé au poil.
Le support CD-ROM étant limité en taille de stockage, il fallait forcément passer par ce mélange de mise en scène in-game et d’appels radio pour que tous les tenants et aboutissants de l’histoire nous soient donnés. D’ailleurs, nombre de choses sont optionnelles, et on peut rater des pans entiers du scénario sans même le savoir, ce qui fait de ce MGS un titre aussi ouvert qu’abscons si on ne prend pas la peine de s’y investir un minimum.
Kojima nous invite ici à découvrir un univers en cours de route sans jamais nous dérouter justement. Même les événements passés nous sont communiqués pour que l’on ne soit jamais perdus, nous permettant de rattraper notre retard sur le reste de la licence. De même, l’homme s’amuse à quelques reprises à briser le 4e mur, et ce, même lors de l’iconique combat de boss contre Psycho Mantis durant lequel il peut lire notre carte mémoire pour voir et commenter les jeux auxquels on joue.
D’ailleurs, l’identité, l’héritage génétique et le libre arbitre étant des concepts ancrés dans le cœur du jeu, le père de Snake s’amuse directement avec le joueur durant ce même combat. L’astuce étant ici qu’il faut changer de port manette lors de l’affrontement pour empêcher le télépathe de prévoir nos attaques. Il installe tout du long une conversation avec nous. Metal Gear Solid est un jeu qui nous parle constamment, à nous autres, joueurs derrière notre écran.
Pour finir sur tout ce qui a trait au scénario, il nous faut revenir sur le casting haut en couleur de cet épisode, probablement l’un des meilleurs de la saga. Nombre de personnages emblématiques y sont, comme Psycho Mantis donc, mais aussi Liquid Snake, Revolver Ocelot, Meryl, Otacon ou encore le fameux Grey Fox, le cyberninja si classe et charismatique. Leur écriture est la plupart du temps une franche réussite, et chacun donne lieu à des séquences d’anthologie, à jamais gravées dans la mémoire de notre média.
La mort de Sniper Wolf et le monologue d’Otacon qui s’ensuit en sont probablement l’apogée. La séquence est si forte, si belle et cruelle, se déroulant dans un cadre enneigé d’une juste poésie qui trouve son meilleur écho dans la somptueuse chanson « The Best is Yet to Come » de Dona Burke. Culte.
La fondation
Mais le jeu vidéo est un art qui nous place comme acteur et non spectateur, aussi faut-il un gameplay pour accompagner un si beau récit. Voyez Metal Gear Solid comme une sorte de partie de cache-cache dans de larges arènes au sein desquelles il nous faut passer inaperçus. L’infiltration est une composante importante du gameplay et si aujourd’hui elle peut être assez obsolète, à l’époque, c’était du jamais vu ou presque, puisqu’à la même période sortait sur PC un certain Thief qui a juste anéanti toute concurrence sur ce point.
Sauf que MGS n’est pas seulement un jeu d’infiltration, c’est aussi un très gros morceau d’action et de narration. Kojima et ses équipes ont réussi à créer un mélange absolument homogène entre ces trois composantes, tout en réussissant à varier les situations de jeu, afin que le joueur ne puisse jamais se reposer sur ses acquis. La vue du dessus, directement issue des deux premiers Metal Gear originaux, a d’ailleurs permis de créer des arènes qui se rapprochent énormément de ce qu’un Pac-Man pouvait proposer.
Remplacez les petits fantômes par des gardes, mettez-les dans un lieu au level design labyrinthique et cubique, placez ensuite Solid Snake dans cette zone, et demandez-lui d’atteindre des portes pour récupérer des objets sans se faire repérer au risque de rameuter nombre d’ennemis et de mordre la poussière. C’est le même principe que Pac-Man qui se déplace en évitant les fantômes pour récupérer des fruits, et si l’un le repère, tous les autres se lancent à ses trousses, comme dans MGS.
Ou comment retravailler un des plus vieux concepts du jeu vidéo, le moderniser et offrir au joueur quelque chose d’assez parfait, même si l’IA n’est pas toujours au point, il faut bien le reconnaître. Et pour réussir cela, nous avons à disposition tout un attirail d’armes et de gadgets nous donnant l’avantage sur les nombreux soldats patrouillant. Grenades aveuglantes, fumigènes, ou encore fusils mitrailleurs, pistolets avec silencieux, jumelles ou fusil de sniper, voire lance-roquette, notre besace est bien remplie.
Mais ne vous y trompez pas, il n’y a pas tant de séquences de ce genre dans MGS, tout comme ce n’est pas comme beaucoup le disent un vrai metroidvania, aussi parce que le backtracking est assez pauvre, parfois même ennuyeux. Les combats de boss sont plus nombreux par exemple, les cut-scenes aussi, et même les segments nous demandant de shooter à tout-va prennent parfois le pas sur le reste. Le jeu est court, l’expérience se doit donc d’être intense.
Alors MGS, ce n’est pas uniquement l’infiltration et les nombreuses possibilités qu’elle offre, pour l’époque, ce qui se faisait de mieux sur consoles, mais bien l’ensemble de la proposition. Tout s’imbrique parfaitement : mise en scène, écriture, narration, infiltration, action, tout est quasiment parfait à peu de détails près. Et si l’on rencontre quelques malencontreuses faiblesses, elles ne gâchent en rien l’expérience de jeu globale et on en fait très vite abstraction. D’ailleurs, la rejouabilité est assez spécifique. Comme tout bon MGS, le gameplay émergeant est bien présent. On peut se créer des opportunités et varier nos approches en se montrant inventif, sauf qu’on est ici face aux prémices de ce principe de jeu et que ce n’est pas aussi poussé que cela le sera par la suite.
Aussi, même pour qui ne serait pas un fan inconditionnel du style Kojima (on peut lui reprocher ses blagues graveleuses et l’hypersexualisation de ses personnages féminins), il faut reconnaître que lui et ses équipes ont su créer un univers passionnant, avec des gimmicks reconnaissables entre mille. Le créateur s’amuse aussi au travers de dialogues, de situations cocasses ou de personnages hauts en couleur à imposer un style, une vision.
L’héritage
Véritable tournant dans la carrière de son créateur, Metal Gear Solid a aussi été un tournant dans le parcours de nombreux joueurs. Il est de ces jeux qui transcendent le média par leur propos et la richesse de leur écriture. Et Kojima est plus complexe qu’il n’y paraît ; s’il critique les affres de la guerre, il glorifie par la même occasion l’image du soldat au travers de Snake. Pas celui qui exécute bêtement, mais celui qui se remet, lui et ses actes, en question. Il n’est pas antimilitariste ni anti-arme, mais juge ce qui est juste ou non dans un conflit et c’est un parti marqué et marquant de l’auteur.
Sous ses allures de simple jeu d’action-infiltration, Metal Gear Solid est un jeu d’auteur. Des messages distillés de partout, un game design unique pour l’époque, une narration dense et riche, un gameplay émergent au rendez-vous… oui, MGS est un chef-d’œuvre, un titre qui a laissé une trace indélébile dans l’histoire du jeu vidéo. De plus, Kojima a réussi à mettre des méchas là-dedans et à s’adjoindre les services de l’un des meilleurs chara-designers de son époque, Yoji Shinkawa, à qui il faut rendre un bel hommage.
Son héritage, ses suites, son concept et sa mise en scène n’ont jamais été égalés ou dépassés par nul autre que son créateur. Snake est devenu l’un des personnages les plus emblématiques du jeu vidéo, se permettant même des apparitions dans d’autres licences comme Smash Bros. ou Soul Calibur. Kojima est féru de cinéma et il est probablement celui qui a réussi à le marier au mieux au jeu vidéo. Et pour cela, chapeau bas.