Lorsqu’il s’agit de monter son PC gaming, le choix des processeurs, cartes graphiques, blocs d’alimentation et autres systèmes de refroidissement est tel qu’une erreur est très vite arrivée pour les néophytes. Une erreur qui peut coûter extrêmement cher. Dès lors, pour nombre d’entre nous, passionnés de jeux vidéo, certains YouTubeurs ont acquis une certaine renommée, une réputation de bons conseils issus de benchmarking rigoureux. Les noms ne manquent pas, mais un d’entre eux joue différemment sa partie : Sebastian Linus, fondateur de LinusTechTips (LTT), se distingue par sa très forte popularité et l’emphase sur le divertissement au cours des tests.
Avec plus de 15 millions d’abonnés et une société créée pour gérer la monétisation, le merchandising et les partenariats, le Linus Media Group (ou LMG) constitue l’un des poids lourds du milieu des tests d’hardware. La mise en avant d’un « lab » financé à coups de millions de dollars dans lequel se déroulent les tests et benchmarks est par ailleurs supposée être un gage de rigueur dans ses tests. Mais supposition n’est pas plus certitude que croyance n’est savoir, et en l’espace de quelques jours, une vidéo critique sur sa déontologie a mené à une succession de découvertes de pratiques pathétiques et illégales, allant de tests mal réalisés par avarice à du harcèlement sexuel, et en passant par la vente d’un prototype qui ne leur appartenait pas.
Acte I : Accusations de tests erronés et aveu d’avarice
Tout a commencé le 14 août 2023, où Steve de la chaîne GamersNexus a publié une vidéo dans laquelle il dénonce le manque de précision des tests réalisés par Linus et ses équipes. Une partie de la vidéo est dévouée aux mauvais benchmarks des performances des cartes graphiques, lesquels deviennent de plus en plus fréquents sur la chaîne LinusTechTips, a priori à cause d’un rythme effréné de vidéos à sortir par semaine et de deadlines irréalistes.
Puis Steve en arrive à une controverse balbutiante autour du test d’un prototype de refroidisseur de carte graphique, un monobloc tout en carbone conçu par la startup Billets Lab, testé avec une 4090 au lieu de la 3090ti envoyée par la startup avec le monobloc et une notice spécifiant que le prototype a été fait sur mesure pour une 3090Ti. Les cartes n’ayant pas les mêmes dimensions et le test démontrant une diminution insignifiante de la chaleur, Linus conclut à une absence de résultats significatifs avec le monobloc et ne recommande pas de se tourner vers une telle solution. Il fait donc cette recommandation à ses 15 millions d’abonnés à partir d’un test conduit avec la mauvaise carte graphique.
Lors d’un podcast sur le WAN Show quelques jours avant la publication de la vidéo de GamersNexus, ce sujet est abordé et Linus maintient ses conclusions en arguant qu’une autre carte n’aurait pas mené à des résultats différents. Pire, il ajoute que ça lui paraît absurde de payer 500 dollars de plus pour refaire le test avec la bonne carte graphique pour vérifier si l’on en arrive à d’autres résultats. Il n’en fallait pas plus pour que les premiers threads d’indignation fleurissent sur Reddit et son forum, où l’on se consterne de voir un millionnaire refuser de dépenser 500 dollars pour faire des tests précis et respecter le travail des startups.
Ces problèmes d’imprécisions et de tests rushés semblent affecter les autres chaînes YouTube du Linus Media Group. La chaîne ShortCircuit, utilisée essentiellement pour y faire de l’unboxing et forte de 2 millions d’abonnés, a récemment réalisé un test d’une nouvelle souris faite en magnesium par la société Pwnage. Dans cette vidéo, il critique la souris comme étant peu fluide à l’usage et plutôt rugueuse, et in fine ne la recommande pas.
Pwnage a répondu sur Twitter/X que le test a été réalisé sans avoir retiré le film protecteur qui se trouve sous la souris et qui est visible dans la vidéo, s’étonnant par ailleurs que ces souris du modèle Stormbreaker aient été offertes par LMG à leurs abonnés les plus fidèles alors qu’elle n’est publiquement pas recommandée à l’achat par le groupe. Un semi-mea culpa a depuis été posté sous la vidéo par ShortCircuit, dans lequel le testeur argue que la présence de ce film protecteur n’a rien d’évident et a joint des photos pour le démontrer, sauf que les liens partagés ne mènent à rien.
Nous en sommes au début du naufrage et il est important de constater qu’il n’y a pas la moindre excuse publique de la part de Linus pour ces erreurs destructrices en termes de réputation pour les sociétés qui lui envoient leurs produits gracieusement pour être testés.
Acte II : Accusations de vente du prototype de Billet Labs et aveu de négligence
L’affaire aurait pu en rester là, mais Steve a mené un véritable travail d’investigation et a pu retrouver le prototype du monobloc en carbone lors d’une vente aux enchères organisée par LTX les 29 et 30 juillet. Sur une séquence de quelques secondes d’une vidéo prise lors de cet évènement, on y voit effectivement le monobloc avec un panneau le présentant et précisant qu’il s’agit bien du prototype de la start-up Billet Labs. Commettre des erreurs de précision est une chose, vendre un objet qui ne nous appartient pas en est une autre. D’autant que Billet Labs avait envoyé à Linus leur prototype le plus avancé, unique en son genre, et qu’il est désormais possiblement entre les mains de leurs concurrents. Une catastrophe incommensurable pour une start-up.
Pour rajouter de l’injure au crime, la start-up a réagi à la vidéo de Steve en précisant qu’ils ont demandé à LinusTechTips de leur rendre leur monobloc suite à la vidéo de test, et qu’après quelques mails d’échange où on leur a assuré que ça allait être organisé sous peu, LTT leur a révélé le 10 août, avec grande classe, que leur prototype a été vendu :
« Hey Félix (l’un des deux cofondateurs de Billet Labs), alors il y a eu un problème de communication et nous avons vendu le monobloc lors des enchères de charité de LTX. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne prend pas la poussière sur une étagère. Nous avons juste besoin d’un numéro de téléphone et l’on vous renvoie la 3090Ti aujourd’hui. »
Suite à cette mésaventure et aux révélations de GamersNexus, Billet Labs a réagi officiellement sur le subreddit LinusTechTips où le soutien envers la start-up lésée est fort :
« Vous, la communauté PC, êtes incroyable. Nous aimerions vous remercier pour votre soutien, il signifie bien plus que vous ne l’imaginez. Steve, de GamersNexus, a montré publiquement son intégrité au risque d’être attaqué, et nous lui témoignons notre respect. Concernant LTT, nous allons être factuels. Le 10 août, LTT nous a informés par mail de la vente de notre prototype, sans excuses. Nous leur avons répondu, dans la demi-heure, que ce n’était pas acceptable, que ce prototype nous a coûté cher, et nous leur avons demandé s’ils comptaient nous rembourser. Nous n’avons eu aucune réponse jusqu’à la sortie de la vidéo de GN le 14 août, après quoi Linus est venu en personne vers nous pour nous proposer le remboursement du monobloc. Concernant le futur, nous ne pleurons pas la perte du prototype. Oui, c’est pénible et ça nous ralentit, mais nous travaillons dur sur un nouveau modèle. »
C’est là la fin de l’acte 2 qui s’est clos il y a quelques jours et il n’y a toujours pas d’excuses publiques à ce point concernant les pratiques du groupe.
Acte III : Accusations d’harcèlement et de sexisme au sein de Linus Media Group
Dans la foulée de la controverse autour de Billet Labs et du prototype disparu, des utilisateurs de Reddit ont retrouvé un avis laissé sur Glassdoor, il y a un an, dans lequel une ancienne employée explique avoir subi du harcèlement et des remarques sexistes au sein de Linus Media Group, n’avoir bénéficié d’aucune aide du service RH (puisque dirigé par la femme de Linus), et dans l’ensemble, que l’environnement de travail est particulièrement inamical et déséquilibré en cas de litige.
L’ancienne employée, prénommée Madison « Suop » Reeve, a réagi publiquement suite aux nombreux messages privés qu’elle a reçus après le déclenchement des controverses, et confirme avoir subi une surcharge de travail quotidienne énorme, entre missions de community manager, gestion des partenariats et des produits à tester puis filmer et éditer des vidéos hebdomadaires au format Floatplane. La jeune femme a occupé un emploi aux contours flous exercé dans un milieu particulièrement toxique.
En effet, on apprend que la culture « familiale » de l’entreprise considérait les problèmes entre employés comme des « dramas » où tout devait se régler verbalement entre les personnes concernées, au nom de la « grande famille » qu’est l’entreprise, conjugué à un service RH inutile et biaisé. La jeune femme a, par exemple, été victime d’une drague particulièrement lourde d’un collègue et la réponse des managers a été de ne pas en faire un drama et d’aller boire un café avec lui. Ou encore de « twerker » pour un autre collègue. Sans compter toute la gamme d’insultes subies, allant d’accusation de retard mental, d’injures homophobes et de moqueries sur son physique, pour lesquels ni les RH ni le management n’ont voulu réagir.
Devenant de plus en plus stressée à l’idée d’aller au travail, elle confie qu’on lui a refusé de prendre quelques jours d’arrêt maladie tels que prévus dans son contrat et s’est retrouvée contrainte de se mutiler elle-même pour être admise aux urgences et ne pas avoir à aller au studio pendant quelques jours.
Face à cette éruption de nouvelles accusations, cette fois nettement plus graves, Linus a répondu à The Verge :
« J’étais dans un état de sidération en lisant ces accusations, tout simplement. Elles ne correspondent pas à mes souvenirs. Elles ne correspondent pas à nos procédures. Elles ne correspondent pas à notre culture d’entreprise. Nous sommes fiers d’entretenir un environnement de travail sûr et inclusif. En plus de nos systèmes de reports existants, nous encourageons tous nos employés à reporter tout harcèlement afin que nous puissions prendre des décisions rapides. »
On apprend également qu’un parti tiers a été recruté pour enquêter sur ces accusations, sans savoir s’il s’agit d’un audit, d’une agence d’investigation privée ou des autorités elles-mêmes. L’état de sidération de Linus a été rapidement nuancé par plusieurs anciens employés qui mentionnent que la situation de Madison a été rapportée au management du groupe et Linus ne pouvait pas ne pas savoir. Un autre ancien employé, Jamie Pilkey, confie avoir eu la chance de n’avoir eu « qu’une menace de mort » lors de son passage dans le groupe, de même qu’une ancienne employée ayant tenté d’alerter Linus sur le harcèlement subi aurait été traitée de « folle » par ce dernier.
Après plusieurs jours de tempête houleuse et de craquements surgissant de partout, le navire LinusTechTips a marqué une pause et publié une vidéo d’excuses, « Que faisons-nous maintenant ?« , qui sert essentiellement à donner leur point de vue sur ces récents événements et se dédouaner quelque peu. Naturellement, Linus étant Linus, cette vidéo est une opportunité pour eux de faire quelques blagues et promouvoir leur merchandising, et de révéler au grand public le prix du prototype de Billet Labs alors même que ces derniers souhaitaient le garder privé.
La chaîne LinusTechTips sort affaiblie de ces controverses. Plusieurs milliers d’abonnés à LTT sont partis de même que des abonnés payants, représentant à priori une perte de $25 000 mensuel dans les revenus du groupe. Il est également probable qu’à l’avenir, moins d’entreprises enverront leurs produits aux chaînes pour être testés, mais tout cela a le mérite de mettre sous les projecteurs les conditions de travail dans le milieu des grosses chaînes d’influence. Une plaisanterie formulée par Steve de la chaîne GamersNexus à Linus lors d’une rencontre il y a quelques années : « Je ne sais pas ce qui coûte le plus cher, ton intégrité ou tes sandales » sonne désormais comme une anticipation ironique et tragique.
Make More Views – Un jeu fait par les YouTuber pour les YouTuber
Team NG+
Squeezie, les YouTubers et les NRJ Music Awards – Rendez-nous René la Taupe !
n1co_m
Youtubers Life 2 – Un deuxième volet pour le simulateur de vie d’influenceur
LD4K4