Reprise de la chronique mensuelle Jeu de Légende, avec un titre qui me tient particulièrement à coeur, car il est l’un de mes premiers survival-horror sur la PlayStation 2, à savoir Project Zero. Un jeu qui a bien marché au Japon lors de sa sortie, mais s’est montré plus discret en Occident, tout en réalisant un score honorable et en surfant sur la récente popularité du cinéma d’horreur japonais avec des films comme Ring de Hideo Nakata ou encore Ju-On de Takashi Shimizu. Et avec cela, une véritable communauté s’est formée autour de la licence, surtout après un deuxième épisode très marquant. Project Zero premier du nom reste néanmoins la pierre angulaire de la franchise, celui par qui tout a commencé et qui a donné naissance à quatre excellentes suites.
Project Zero : plongée au cœur de l’horreur japonaise
S’il est un genre qui a su évoluer au fil des générations de console, et cela de façon très marquée, c’est bien l’horreur. Car comme au cinéma, de nombreuses sous-catégories – ou sous-genres – sont apparues et de nouvelles continuent de se créer encore aujourd’hui. Ceci nous amène alors à une saga très connue des fans de jeux vidéo horrifiques, à savoir Fatal Frame ou Zero, plus connue sous le nom de Project Zero en Europe. Créée par Makoto Shibata et Keisuke Kikuchi, on est ici en présence d’une licence très influencée par le mysticisme japonais, le cinéma d’horreur asiatique dans son ensemble, ainsi que par le genre du survival-horror pour ce qui concerne le jeu vidéo, même si finalement assez hybride dans son approche. Les lignes qui vont suivre vont concerner le premier épisode de cette franchise culte, sorti en 2001 sur PlayStation 2 et en 2002 sur Xbox.
Comme un air de folklore
Project Zero nous invite à incarner une jeune fille dénommée Miku dans les méandres d’un grand manoir japonais de l’ère Edo. Cette demoiselle de 17 ans n’est pas là par hasard, elle est en effet à la recherche de son grand frère Mafuyu, disparu il y a deux semaines dans ce même lieu avec une certaine caméra Obscura. Lui même était en quête d’un folkloriste japonais très connu répondant au nom de Junsei Takamine et de son équipe, qui se sont eux aussi mystérieusement évaporés. Comme vous l’aurez surement deviné, le manoir que l’on arpente est hanté et est chargé d’un très lourd passé. Il y est question de rituels sacrificiels Shinto très obscures et secrets, avec en point d’orgue, celui d’une vierge que l’on écartèle pour maintenir les portes de l’Enfer fermées. L’histoire tourne surtout autour de la famille Himuro, adepte de telles pratiques, mais devient aussi plus intime avec Miku, l’adolescente n’étant pas si étrangère que ça au lieu. Miku est d’ailleurs très attachante, car très fragile, à la démarche hésitante, au faciès toujours inquiet, on se prend à vivre sa survie comme si c’était la nôtre. Elle est hantée par des visions du passé et par les apparitions répétées d’une dame en kimono blanc, centrale à l’histoire, et est guidée par des apparitions de son frère.
Le folklore et le mysticisme japonais sont ici présentés sous leur forme la plus pure, visant uniquement à faire peur, tout en respectant les vieilles traditions nippones. Cela va des écrits que l’on retrouve, témoignant de tranches de vies passées, aux décor, en passant par les habits ou la religion. De cette authenticité, découle une plus grande immersion, car les développeurs ont clairement bossé leur sujet et on retranscrit de manière plus ou moins fidèles d’anciens rituels sacrificiels que certains japonais pratiquaient il y a quelques siècles. Lorsque l’on joue en sachant que certaines choses sont tirées du réel, autant dire que le quatrième mur s’effrite très dangereusement, et que cela rend l’oeuvre bien plus dérangeante.
La narration se veut d’ailleurs très classique pour le genre survival-horror, se faisant au travers de flashbacks, de journaux audio ou à lire, ainsi que de quelques cut-scenes mettant en scène Miku et autres personnages secondaires ou du passé. Ce qui l’est moins, c’est l’utilisation de caméra Obscura pour faire apparaître certains échos du passé – sous la forme de spectres -, nous renseignant un peu plus sur les atrocités que certaines personnes ont subies. Le scénario bien que simple et linéaire n’en est pas moins très intéressant et les quatre différents actes que l’ont traverse nous content chacun d’entre eux les événements qui se sont déroulés dans le manoir à une période datée donnée, nous plongeant toujours plus dans le malaise et l’horreur.
À glacer le sang
L’ambiance. Voici surement l’un des aspects les plus réussis de Project Zero. On est constamment sous pression dans le jeu, et lorsque je dis constamment, c’est même au-delà de ça. Et ceci, grâce à quelques artifices ô combien efficaces, à commencer par la bande sonore.
Composée par Shigekiyo Okuda, la bande originale de Project Zero est à proprement parlé terrifiante. S’inspirant vraisemblablement du cinéma d’horreur japonais, le compositeur s’est fait une joie de mêler voix sortante d’outre-tombe, violons stridents, cuivres saturés, clochettes de cérémonies, sons distordus, et autres joyeusetés du genre pour distiller un malaise constant durant toute l’aventure. De plus, pour amplifier le sentiment d’alerte permanent, le son est spatialisé pour l’occasion, ce qui était très rare encore à l’époque et assez peu utilisé dans le jeu vidéo. Ceci prévaut surtout lorsqu’un spectre est présent, ce dernier tournant autour de nous en émettant des râles glauques glaçant littéralement le sang. Il faut d’ailleurs bien souvent les repérer dans l’espace grâce à cela, pour savoir où ils se trouvent ou avoir une petite idée de leurs mouvements. Le travail effectué sur les différents fantômes est de premier ordre, certains nous parlent d’ailleurs, ce qui les rend encore plus effrayants, car semblant appeler à l’aide, comme souhaitant être libéré de leur condition, mais piégés à jamais dans ce manoir lugubre.
Seules petites ombres au tableau, le tout ne se guère veut dynamique et ne s’adapte que trop rarement à l’action, même si l’apparition d’un spectre peut amener un changement de thème ou une évolution musicale sur l’instant. Chaque pièce – ou presque – conserve son identité musicale du début à la fin, et cela nuit parfois à l’immersion, car cela se remarque et est parfois injustifié. De même que les doublages anglais sont franchement de l’ordre du « juste passable », me sortant parfois de l’expérience, bien que les dialogues soient bien écrits. Hormis cela, c’est très solide, et pour l’époque diablement efficace, car si on met de côté le travail de Yamaoka sur la saga Silent Hill, Project Zero distille surement l’ambiance sonore la plus dérangeante dans un jeu vidéo, du moins au moment de sa sortie.
La beauté du mal
D’autres éléments appuyant cette ambiance si particulière sont à mettre à l’ordre du parti-pris artistique. Le jeu est tout d’abord assez gore et violent, mais sans en faire trop. À aucun moment il ne montre du sang gratuitement ou une séquence horrible juste pour faire de la surenchère. Tout est justifié dans Project Zero, dosé comme il le faut et si certains passages chocs bénéficient d’une réalisation particulière, on ressent toujours cette patte très japonaise dans la manière de mettre en scène. À coup de zooms répétés, de cadrage serré sur les visages ou sur des éléments particuliers, cette proximité permet aussi de rendre l’oeuvre encore plus dérangeante, car rien n’est masqué, tout est montré. De même que l’image baignant dans un grain dérangeant, passant parfois au sépia pour certains passages du passé; ou encore le jeu des clairs-obscurs très marqués, avec en plus le seul faisceau de notre lampe torche pour nous éclairer, amplifient le côté anxiogène du jeu. Un travail d’orfèvre a été effectué par les équipes artistiques de Tecmo, et ce aussi sur les décors.
Oui les décors. Car il ne suffit pas de placer l’action dans un manoir délabré de l’ère Edo pour rendre la chose effrayante. Bien entendu, tout ce qui a été évoqué plus haut permet de le faire, mais le travail accompli sur la reconstitution de ce bâtiment, purement imaginée, même si s’appuyant sur des constructions réelles, est époustouflant. Si on considère que Le Voyage de Chihiro est le Alice au Pays des Merveilles japonais, on pourrait dire que Project Zero est son exact opposé, nous amenant dans un décor qui pourrait être de rêve s’il ne baignait pas dans une souffrance qui suinte des murs. Les intérieurs sont souvent assez fournis, remplis d’objets du quotidien laissés à l’abandon du jour au lendemain, d’un bordel désorganisé et on sent que plusieurs couches de vie se sont étalées en ce lieu au fil des siècles. La bâtisse semble d’ailleurs vivante, la moindre poupée donne l’impression de nous observer, de nous suivre du regard et cela en est terrifiant. Le tout baigne dans une froideur très euphorisante je dois dire, une de celles qui vous poussent malgré le danger apparent, les couloirs délabrés, les toits effondrés, le cimetière et le petit lac inquiétant, à toujours aller de l’avant. C’est hypnotisant, mais par contre il faut peut-être avoir un certain intérêt au folklore, au passé et à l’architecture japonaise pour y être à ce point sensible. A noter que même si le jeu ne multiplie pas les jump-scares, il y en a tout de même, et des plutôt pas mal, surtout avec l’utilisation des apparitions de spectres.
Enfin, les fantômes tiennent aussi une place importante dans le jeu comme tout le monde s’en doute. Sans être l’élément principal de l’horreur à mon sens, l’apparition spectrale est toujours l’occasion de grandes émotions dans Project Zero. Principalement de par la difficulté de certaines rencontres, scriptées ou non, qui inflige un stress à s’en exploser le cœur. Au niveau de leur design, là aussi c’est une franche réussite. Les Japonais utilisent alors les images fortes que l’on connait des spectres locaux, comme la femme aux cheveux longs ou encore le pendu, avec des figures plus grotesques, mais tout aussi efficaces.
Miku, fragile comme de la porcelaine
On n’en a toujours pas parlé, mais le gameplay est très important dans Project Zero. Déjà parce qu’il participe lui aussi à créer l’atmosphère du jeu, et là je l’avoue, en reprenant pas mal sur d’autres œuvres du genre. Notamment par le choix de la caméra fixe, très clairement emprunté à Resident Evil. Elle offre néanmoins des angles de vue au poil pour donner quelques frissons, en jouant sur l’effet miroir ou encore en misant sur l’invisible pour surprendre. Rien de bien original me direz-vous et à raison, tout comme la lourdeur des déplacements de Miku, un classique dans le monde du survival. Même si là on a l’impression de rouler au point mort sur l’autoroute, une chose qui deviendra habituelle pour la série, qui joue beaucoup sur la fragilité de ses héroïnes pour distribuer sa peur. Je dois dire que cela a tout de même pris un sérieux coup de vieux, et qu’il faut un petit temps d’adaptation avant de s’y (re)faire pleinement.
Lorsque je parlais d’hybridation en présentant le jeu, j’entendais par là le système de combat, pour le coup très original et imposant ses propres codes au genre de l’horreur. Véritable force du jeu, il est à la fois novateur, mais aussi élément de peur. En effet, notre seule arme est donc la fameuse caméra Obscura récupérée par Miku après que son frère l’ait perdue. Lorsqu’on l’utilise, on passe en vue à la première personne et là, les choses sérieuses commencent, tout comme les plus grandes sueurs froides. Il est possible de se déplacer avec cette vue et le but de la manœuvre est d’exorciser les fantômes en prenant des photographies de ces derniers au bon moment. Cela fonctionne grâce à un système assez simple, mais qu’il faut apprivoiser. Il est primordial de prendre son cliché sans se précipiter, après avoir chargé au maximum la puissance de son appareil, ou juste avant une attaque ennemie pour maximiser les dégâts. Bien entendu, il existe différents fantômes, et ils ont tous des particularités différentes, bien qu’ils fassent tous très mal. Il va alors falloir s’adapter au type de spectre rencontré, observer ses mouvements, en gros apprendre ses différents patterns, pour s’en débarrasser au mieux.
Et tout cela est difficile. Oui, Project Zero est de ces jeux exigeants et à la difficulté relevée. Au fur et à mesure que l’on passe les actes, que l’on se défait des boss, que l’on résout les énigmes du manoir pour avancer et en percer les mystères, les fantômes eux deviennent plus vicieux et forts, plus anciens aussi. Car comme déjà dit, chaque acte est l’occasion de remonter le temps et de vivre les événements surnaturels marquants qui s’y sont déroulés. Pour faire face à cela, on nous propose tout un système d’upgrade sur notre caméra Obscura. On dépense en effet des points gagnés lors de nos affrontements avec les entités surnaturelles pour en augmenter la puissance, la précision et la distance à laquelle on peut prendre nos clichés. De même, l’on trouve au fur et à mesure de notre avancée des pellicules avec un pouvoir exorcisant de plus en plus élevé, ou encore quelques capacités spéciales utiles. Pouvoir ralentir un fantôme ou encore le stopper quelques secondes, voire le repousser, est une aide sur laquelle on ne crache pas.
Enfin, comme tout bon survival qui se respecte, on a le droit à notre lot d’aller-retour et je dois dire que j’imaginais le manoir plus grand, on tourne vite en rond et même si on débloque de nouvelles salles et lieux à chaque acte, la monotonie prend parfois le pas. Surtout que notre objectif n’est parfois pas très clair, alors que les énigmes à résoudre se veulent plutôt faciles. Il faut souvent un cliché d’un endroit donné pour briser un sceau empêchant l’ouverture d’une porte, trouver quelques objets pour déverrouiller des passages, ou encore résoudre des petits casse-têtes en utilisant des fichiers écrits récupérés comme sources d’informations. Ah, et autant dire que votre santé ne remonte pas seule et que les objets de soin sont en quantité limitée. Un conseil, sauvegardez souvent.
Un jeu culte
Malgré quelques défauts évidents ou certains aspects du jeu qui ont vieilli, commes les graphismes, surtout les modèles de personnages et leurs animations, Project Zero n’en reste pas moins un jeu culte. Une oeuvre que tout amateur de survival-horror se doit de faire, tant cette franchise a marqué le genre. Il n’est d’ailleurs pas très long, et c’est tant mieux, car je pense qu’une heure ou deux de plus auraient fini par fatiguer à force, tant on est toujours sur le qui-vive dans le jeu. Il y a d’ailleurs plein de bonus à débloquer, avec de nouvelles tenues, un mode combat, ou encore un mode de difficulté appelé cauchemar et portant admirablement bien son nom. Deux fins différentes sont au programme sur PlayStation 2, alors qu’une autre s’ajoute dans la version Xbox, ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas.
En conclusion, après l’avoir refait il y a peu, j’en suis sorti avec l’envie de me replonger corps et âme dans la saga, preuve que Project Zero est et restera toujours un jeu unique, avec ses propres codes, une ambiance à s’en réveiller la nuit, et surtout un véritable jeu de légende.