Ludwig Lorekhan, le développeur français derrière Rise & Fall: Bronze Age, a accepté de répondre à quelques questions de notre part. Qu’il s’agisse de la motivation nécessaire pour se lancer dans un tel projet en solitaire, comment y arriver, les difficultés rencontrées, le calendrier espéré pour le jeu, ainsi que quelques conseils à donner à celles et ceux qui aimeraient se lancer dans une telle aventure.
Salut, peux-tu te présenter ?
Bonjour à toutes et à tous. Je suis Ludwig LoreKhan, principal développeur du jeu Rise & Fall: Bronze Age. Cela fait quatre ans que je travaille sur ce projet, et ce après avoir fait une licence en Histoire et deux années d’études en Game Design.
Tu travailles donc sur un jeu nommé Rise & Fall: Bronze Age. Peux-tu nous le présenter ?
Rise & Fall: Bronze Age est un jeu de grande stratégie au tour par tour et se déroulant à l’Âge du Bronze au Proche-Orient (entre -3400 et -1150). De l’Égypte à l’Elam (Sud de l’Iran actuel), en passant par Canaan, Sumer, l’Assyrie, et l’ensemble de l’Anatolie, c’est une vaste région qui vous sera présentée pour construire vos états, qu’il s’agisse de cités-états régionales, ou bien de puissants empires englobant plusieurs cultes et cultures.
Si je devais donner un point qui différencierait mon jeu des autres jeux du même genre, c’est avant tout l’attention portée au fait que toute faction doit essayer de survivre, qu’il s’agisse des petites factions qui cherchent à atteindre une masse critique, ou des puissants empires régnant sur des millions d’habitants, qui peuvent s’effondrer du jour au lendemain. Le joueur est confronté à des crises internes de plus en plus nombreuses au fur et à mesure que sa faction gagne en puissance, et s’étend, dans le jeu.
Tout ce qui monte finit par tomber, et les factions, qu’elles soient à l’IA ou au joueur, vont s’effondrer les unes après les autres, et être remplacées par d’autres. L’objectif du joueur est donc de retarder le plus possible la chute de sa faction.
S’agit-il de tes premiers pas dans l’industrie du jeu vidéo ? Qu’est-ce qui t’a intéressé, ou motivé, pour te lancer dans cette aventure ?
Ce sont effectivement mes premiers pas dans cette industrie. Je suis pour ainsi dire sorti de mes études via ce projet. J’avais déjà créé des jeux de société pour moi-même, ainsi que des systèmes de jeu de rôle. Mais quand j’ai fait mon premier petit jeu vidéo, dans lequel le joueur incarnait un pharaon égyptien devant agrandir son territoire et construire temples et monuments tout en gérant une mécanique de légitimité qui finissait par s’éroder en provoquant un game over. Un de mes professeurs de l’époque avait été intéressé par ce que j’avais fait. Il m’a encouragé à le développer davantage. Et après de nombreuses améliorations du cadre et des mécaniques de départ, cette version est finalement devenue Rise & Fall: Bronze Age.
N’est-ce pas trop difficile de se lancer dans la programmation d’un jeu, ou la programmation en générale, après avoir fait un cursus universitaire en sciences sociales ?
Disons que j’ai un parcours assez compliqué. De base, j’avais fait un Bac Scientifique (à l’époque où il y en avait un) avant de partir vers une Licence d’Histoire, car j’ai toujours été passionné par le fait d’apprendre l’Histoire des peuples, des états, des sociétés, etc. Je comptais à l’époque être professeur. Mais au final, ce n’est plus ce que je voulais à la fin de ma Licence, et à la place, je me suis tourné vers le Game Design. Le fait de faire des systèmes me plaisait. Je m’imaginais créateur de jeux de société plus jeune. La programmation ne m’intéressait pas, jusqu’à un cours où mon professeur de l’époque nous a fait faire un dungeon crawler basique. À partir de là, je suis tombé dans la programmation, faisant le petit jeu Kemet deux mois plus tard, puis un générateur de cartes de mondes de fantasy que j’aurais pu mettre sur la boutique d’Unity.
En somme, c’est un déclic qui m’a permis de passer de l’Histoire à la programmation.
Pourquoi avoir choisi cette période historique qui est, finalement, assez peu connue ?
Cette période est peu connue, ne serait-ce que par le manque de sources et d’écrits nous permettant de la comprendre clairement. Mais c’est une époque avec une dynamique incroyable où les premières cités sont devenus des États. Ces États sont devenus des royaumes, et ces royaumes des empires. C’est une période qui a vu la montée et la chute de nombreuses sociétés et civilisations, et elle est parfaite pour mettre en place des mécaniques de survie et d’effondrement. Enfin, il existe très peu de jeux se déroulant à cette période… du moins jusqu’à l’annonce récente du prochain Total War !
Le studio Paradox Interactive est un monument dans le domaine des jeux de grande stratégie. Que penses-tu de leur tentative peu fructueuse d’explorer l’antiquité avec Imperator ?
Je pense que le souci de base avec Imperator portait sur deux points qui existaient à la sortie du jeu. Tout d’abord la reprise du système de « mana » d’Europe Universalis IV qui ne plaisait pas à grand monde. Ils l’ont corrigé avec une unique ressource de « mana » politique, et d’autres façons de faire, mais le mal était fait. Et surtout le fait qu’à la sortie, il y avait peu de différenciation entre les factions. Une monarchie en Inde fonctionnait comme une monarchie hellénistique, toutes les républiques fonctionnaient pareillement, etc. Il a fallu la sortie de DLC, et donc plus de dépenses pour les joueurs, pour donner une âme à une portion des factions. Personnellement, je ne pense pas tomber dans ces soucis. Je n’ai pas de système de « mana » dans mon jeu. Le joueur a des ressources et des valeurs de factions pouvant changer, mais il y a une logique derrière chacune. La corruption augmente vos dépenses, la centralisation détermine si votre état gère tout ou délaisse aux nobles au risque de leur donner trop de pouvoir, etc.
Quant au fait que les factions sont différentes les unes des autres, je propose une très forte personnalisation de la faction du joueur. Sera-t-elle centralisée ou décentralisée ? Sera-t-elle « va-t-en guerre » ou pacifiste ? Xénophobe ou tolérante ? Laissera-t-elle la charge de son administration aux prêtres ou à des scribes ? Et ainsi de suite. Et surtout, toutes les factions ne seront pas jouables. Les factions en Égypte, les seules jouables à la sortie, auront pour la plupart des événements narratifs qui impacteront aussi bien les actions du joueur que son immersion dans telle ou telle période. Le but étant que même au sein d’une même culture, il y ait une forte rejouabilité.
Travailles-tu seul sur ce projet ?
Je suis effectivement le principal contributeur du jeu. J’ai géré l’intégralité du projet, de la programmation au game design et interfaces. Toutefois, je me suis appuyé d’une façon ponctuelle sur des collaborateurs, soit pour réduire ma charge de travail et accélérer le rythme du projet, soit pour faire ce que je ne pouvais pas faire, notamment les sons et musiques du jeu, les éléments de l’interface et enfin la carte du jeu.
J’imagine que c’est très compliqué de mener un tel projet à terme lorsque l’on est indépendant. Quelles sont les plus grosses difficultés rencontrées ? Et quelles sont celles qui étaient les plus inattendues ?
Le fait de jongler avec plein de domaines pourrait être considéré comme une difficulté. Mais si cette difficulté était réelle au début du projet, l’expérience aidant, elle s’est atténuée au fil du temps. Les deux plus grosses difficultés sont dues à la période traitée et au type de jeu. L’âge du bronze est une période très peu documentée. Il a fallu aller sur un maximum de sites internet et lire un grand nombre de livres afin de rassembler un maximum d’informations sur ce monde. Quels états à quelles périodes, quels étaient leurs dirigeants, qu’est-ce qui a causé leur chute ? Quelles régions ? Quelles cultures ? Quelles ressources précieuses et où ? Quelles tailles de populations ? Quelles technologies ? Autant de questions auxquelles il fallait que je réponde afin de recréer ce premier âge des empires.
Par ailleurs, les jeux de grande stratégie sont complexes à implémenter. Pour les néophytes, un jeu de grande stratégie est un jeu de stratégie se concentrant sur la stratégie à grande échelle. Pas de batailles tactiques à la Total War. Vous devez gérer les grands aspects de votre état : gouvernement, impôts, infrastructures, technologies, territoires, etc. Vous êtes le chef de votre état et devez donc gérer ce qu’un chef d’état gère. Mais cela se traduit par un nombre colossal de systèmes et mécaniques s’imbriquant les uns dans les autres. Ça revient à monter une horloge extrêmement complexe. Et cela a pour conséquences d’être très difficile à équilibrer et à débugger. Car toutes ces mécaniques peuvent engendrer de nombreux effets de bords !
Pour ce qui est des inattendus, je pense que cela vient plus d’un manque de préparation et de planification de ma part. Tout projet d’envergure doit être le plus organisé possible, étape par étape. Et je n’ai pas passé assez de temps à la préparation de ce projet, ce qui s’est traduit par certains errements dans sa mise en œuvre.
Envisages-tu, à terme, de rejoindre un studio déjà bien établi ou bien de rester indépendant ?
J’espère que Rise & Fall: Bronze Age est la première pierre d’un plus grand édifice. Mon objectif, à terme, est de faire des jeux sur les périodes suivantes et reposant sur les mêmes principes et avec des cœurs de gameplay semblables. Un jeu durant l’époque antique classique de -900 à 500 après J-C, puis un jeu se passant de 500 après J-C à environ 1800. Pour au final aboutir à mon grand projet, un jeu de grande stratégie, mais dans un univers de fantasy. Une sorte de Dwarf Fortress Civilization.
Mais rien ne dit que je réussirai à le faire par moi-même. Si être indépendant me donnera plus de latitude pour faire ce qu’il me plaît, rejoindre un studio déjà bien établi, s’il m’aide à accomplir ces projets, n’est pas quelque chose que je mets de côté. L’objectif est plus important que la façon de l’atteindre.
Quel calendrier pour Rise & Fall: Bronze Age, sur Steam ?
Le jeu était censé sortir en accès anticipé cet hiver. Il a sa page Steam depuis début décembre. Si j’ai pris du retard, c’est toutefois pour de bonnes raisons. Je suis dans le nettoyage de bugs et la refonte des interfaces, afin d’être sûr que tout fonctionne comme prévu, qu’il n’y a pas de problèmes de traduction de texte, que les mécaniques et éléments de gameplay sont les plus compréhensibles. Le jeu sortira quand ces soucis seront nettoyés.
Une fois cela fait, l’accès anticipé aura plusieurs étapes avant la sortie définitive. Après les premiers patchs correcteurs de bugs, il faudra que je m’attelle à l’ajout de contenus en travaillant sur les régions hors d’Égypte. Car si le jeu ne laissera en factions jouables au départ que celles en Égypte, ces grandes mises à jour ajouteront les autres régions de la carte. Elles pourront être conquises par vos armées, c’est juste que leurs factions de base ne seront pas jouables à la sortie. La première zone ajoutée sera le sud de la Mésopotamie. Puis viendront l’Elam et l’Assyrie. Et ainsi de suite.
Est-ce difficile de collaborer avec Steam quand on est indépendant ?
Pas vraiment. J’ai eu des soucis au départ pour faire ma page Steam, notamment lors de la confirmation de Steam pour sa publication. Relier mon jeu et son exécutable à Steam via leur logiciel n’était pas des plus simples, mais j’ai réussi à le faire fonctionner.
Quel(s) conseil(s) aimerais-tu donner aux jeunes passionnés qui voudraient se lancer dans un tel projet de leur côté ? Qu’aurais-tu aimé savoir avant de te lancer ?
Il vaut mieux s’organiser autant que possible et consacrer dès le début suffisamment de temps à élaborer un plan marketing. Vous aurez beau avoir un bon jeu, si personne n’en entend parler, sa notoriété n’atteindra pas vos attentes. Et enfin, ne soyez pas trop gourmand. Votre premier jeu ne devrait pas prendre plus d’un an à un an et demi à développer, et encore si vous avez les moyens. Ne vous laissez pas emporter et restez raisonnable sur la complexité de ce que vous pouvez atteindre. Ce que j’ai réussi à faire m’a pris quatre ans. J’en suis certes fier, mais autant de travail sans avoir encore de communauté d’une taille conséquente est un pari dangereux. Nous verrons bien si ce pari était osé ou non !
On te le souhaite et on croise les doigts ! Retrouvez la démo gratuite de Rise & Fall: Bronze Age sur la page itch.io de Ludwig Lorekhan, ainsi que les informations du jeu sur sa page Steam.