Dans une première partie, nous avons passé en revue différentes influences des jeux de société dans les jeux vidéo. Mais cette influence ne va pas que dans un sens, particulièrement dans les jeux de société de dernière génération. Nous pouvons donc réellement parler d’influence réciproque. Observons ce que les jeux de société modernes ont emprunté aux jeux vidéo dans cette seconde partie.
Partie 2 : influence des jeux vidéo dans les jeux de société
Le jeu veut votre perte
De prime abord, on peut considérer qu’un jeu de société se joue contre d’autres joueurs et un jeu vidéo apporte une dimension supplémentaire avec l’IA. Mais dans certains jeux de société récents, on peut réellement parler de combat contre le jeu.
The Game est un bon exemple, il permet de jouer en coopération contre le jeu. C’est un jeu de cartes dont le but est d’écouler tout le paquet sur quatre piles (deux descendantes et deux montantes). C’est une sorte de Solitaire amélioré où la coopération est rendue plus complexe par l’interdiction de communiquer le contenu de sa main. Ce jeu permet même de jouer seul, comme vous le feriez dans un jeu solo sur votre ordinateur ou votre console.
Le jeu de coopération, permettant même parfois des modes solo, est une véritable mode ces dernières années. Il en existe de très nombreux et certains empruntent de nombreuses mécaniques aux jeux vidéo. C’est le cas de l’Ile Interdite, par exemple, un jeu de coopération dans lequel des aventuriers doivent survivre à une île qui sombre petit à petit dans l’océan. Une nouvelle fois, ce sont les joueurs contre le jeu, mais il propose même une composante supplémentaire, proche d’un jeu vidéo : les niveaux de difficulté. En effet, comme dans de nombreux jeux électroniques, ce jeu de plateau offre la possibilité aux joueurs de choisir un niveau de difficulté avant de commencer la partie. Une bonne manière de profiter du jeu pendant longtemps grâce à de nouveaux défis.
Le temps réel
Instinctivement, vous me direz qu’un jeu de société se joue au tour par tour. Dans la plupart des cas, vous auriez raison, mais certains jeux se jouent en temps réel, créant un sentiment inédit de hâte et de stress.
Parfois, la technologie vient en aide à ces jeux de société. Dans Escape, vous devez sortir d’un temple maudit en moins de 10 minutes. Le temps est indiqué par un CD diffusant une musique et rendant l’immersion encore plus grande. Bien sûr, il ne s’agit pas ici de sauter sur des plateformes ou de courir vite. Armé de vos dés, vous devrez faire des combinaisons qui vous permettront de collecter des gemmes ou de découvrir les salles adjacentes. En plus du temps réel, ce jeu apporte une deuxième influence vidéoludique : la création procédurale du terrain. En effet, comme dans un Rogue-like, vous ne découvrirez les salles qu’une par une au cours de la partie, la rejouabilité est donc totale. Une nouvelle fois, ce jeu peut également se jouer seul.
Une autre manière d’offrir aux joueurs la sensation du temps qui passe, c’est la présence d’un sablier. Dans Magic Maze, vous êtes des aventuriers dans un centre commercial qui doivent voler une arme et s’enfuir dans le temps d’un sablier. Ce jeu de coopération assez particulier, où chaque joueur peut bouger tous les pions mais dans un sens différent des autres, propose une véritable gestion du temps. En effet, vous aurez l’occasion de trouver des cases qui permettent de retourner le sablier, à vous de le faire au bon moment afin d’allonger au maximum votre temps de jeu. Ce jeu propose aussi une création procédurale du terrain et ne vous permet pas de parler entre vous : fous rires et stress garantis !
La gestion et la stratégie
Ce dernier point touchait à la gestion du temps, mais d’autres jeux de société permettent également de gérer des ressources ou des domaines. Ainsi, comme dans un Civilization ou un Total War, vous imposez votre pouvoir par votre intelligence et votre sens tactique.
Prenons le cas du jeu de société maintes fois primés, Seven Wonders. Ce jeu propose aux joueurs de collecter des points dans la construction d’une cité et d’une merveille. Chaque merveille et chaque carte apporte différents gameplays et rend chacune des parties unique. Afin de construire vos bâtiments, vous aurez besoin de ressources et donc de prendre la peine de les acheter ou de collecter des cartes ressources. Selon votre stratégie, vous pourrez donc développer votre ville et tenter de contrer la stratégie adverse : commerce, diplomatie, guerre, culture, science… Tout y est pour faire de ce jeu un excellent jeu de gestion et de stratégie.
Cependant, certains jeux de société vont plus loin encore en proposant une gestion réelle des ressources. Dans Seven Wonders, vous avez autant de ressources qu’indiquées sur vos cartes à chaque tour. Mais dans des jeux comme les Colons de Catane, chaque ressource dépensée doit être recultivée par la suite. Ainsi, vous réfléchirez d’autant plus à vos achats et des stratégies à court terme doivent être envisagées. La version deux joueurs, Princes de Catane, pousse même encore plus le vice en proposant des événements aléatoires. Ainsi, comme dans un jeu vidéo, l’IA incarnée par les cartes pourra vous surprendre tout autant que votre adversaire et vous forcera à repenser vos plans plusieurs fois durant la partie.
Du pion au personnage
Dans un Monopoly, les pions, aussi stylisés soient-ils, n’ont pas beaucoup d’identité. Que vous soyez le dé à coudre ou la petite voiture ne va pas changer votre manière de jouer. Aujourd’hui, certains jeux de société proposent des scénarios, des caractères et des capacités spéciales aux personnages.
Adventurers, par exemple, vous permet d’incarner un aventurier en quête de trésor dans un temple maudit. Le livre de règles vous décrira l’origine de votre personnage ainsi que ses capacités. Ainsi, que vous soyez l’un ou l’autre influence réellement votre manière jouer. Dans ce jeu, le plateau joue contre vous autant que vous jouez contre les autres et c’est parfois plus lui qui vous fera perdre que votre adversaire. Ce jeu s’inspire également des RPG vidéoludiques avec la gestion de l’inventaire. En effet, plus vous portez d’objets, moins vous avancez vite et plus vous risquez de rester enfermer. A vous de bien choisir les trésors et les objets que vous gardez…
Des personnages avec des pouvoirs, des plateaux qui jouent contre vous, un scénario,… Que manque-t-il au jeu de société pour être plus proche encore d’un jeu vidéo ? Des modes de jeux ? Eh bien figurez-vous que ça existe aussi. Dans Room 25, vous devez une nouvelle fois vous enfuir d’un complexe qui tente de vous tuer. Vos personnages ont une identité et des capacités spéciales et le plateau se découvre de manière procédurale. Et ce jeu, qui met en scène une émission de télévision sadique, vous permet également de choisir votre mode de jeu. Ainsi, vous pouvez jouer seul ou à plusieurs, en coopération, en équipe, chacun pour soi ou en mode suspicion (coopération avec un ou plusieurs traîtres). Une ressemblance de plus avec son cousin électronique.
La politique des extensions
Nous avons beaucoup parlé de mécanique de gameplay empruntée au monde du jeu vidéo. Cependant, les éditeurs de jeux de société proposent également des politiques économiques proches de celles de l’industrie vidéoludique. La plus flagrante est sans doute celle des extensions.
Vous êtes habitués, aujourd’hui, à voir Steam vous proposer des DLC de vos jeux préférés, agrandissant ainsi le trou dans votre portefeuille. Mais les jeux de société aussi proposent leur lot d’extensions. Dans les jeux déjà cités dans notre développement, Seven Wonders ou Room 25 ont des extensions. Mais ce sont loin d’être les seuls et des jeux comme Munchkin ou Dominion ont même fait de cette stratégie commerciale, une marque de fabrique. Allant du simple ajout de cartes à des règles alternatives, les DLC de jeu de société ont tous pour but d’augmenter la durée de vie des jeux originaux et d’agrandir le compte en banque des éditeurs.
Conclusion
Le succès grandissant de l’industrie du jeu vidéo a sans aucun doute heurté celle des jeux de société. Forcés de s’adapter, les éditeurs se sont laissé influencer par les mécaniques novatrices proposées dans les jeux vidéo afin de partager leur public. Ces innovations apportent aux jeux de plateaux et de cartes des dimensions supplémentaires. Grâce à cette influence, les jeux de société sont aujourd’hui plus scénarisés, moins prévisibles et laissent surtout une plus grande place à la stratégie qu’au hasard. Tout cela permet en partie la pérennité des jeux de société qui empruntent même les stratégies commerciales de leurs cousins électroniques.
Ainsi s’achève notre analyse des influences mutuelles entre les jeux de société et les jeux vidéo. Cherchant tous deux à nous divertir, ces deux mondes n’ont de cesse ces dernières années de chercher chez l’autre ce qu’il ne peut trouver chez lui. De ce fait, les jeux vidéo et les jeux de société n’ont jamais été aussi proches qu’aujourd’hui. Cette tendance n’est probablement pas près de s’arrêter et de cousines, ces deux industries pourraient bien devenir sœurs !