On a l’habitude de comparer le jeu vidéo au cinéma, et ce n’est pas la grosse sortie du moment, Cyberpunk 2077: Phantom Liberty, qui nous écartera de ce tic. Le jeu, invitant Idris Elba aux côtés de Keanu Reeves, a plus que jamais des allures de blockbuster hollywoodien.
Cependant, cette comparaison ne vaut que pour une fraction de la production vidéoludique : les jeux à composante narrative. En gros, les jeux d’action-aventure qui proposent aux joueurs de vivre une histoire écrite à l’avance. Mais tout un pan de la production ne répond pas à cette description, et n’entretient qu’un rapport ténu, pour ne pas dire inexistant, avec le cinéma : les puzzle games, les simulations, les jeux de sport, les jeux de cartes et de société, ou encore les expériences plus inclassables, comme Noby Noby Boy (signé en 2009 par Keita Takahashi, créateur de Katamari Damacy) ou le fameux LSD sorti sur PlayStation (1998).
Une diversité de productions qui, finalement, fait qu’on pourrait rapprocher le jeu vidéo davantage de la télévision que du cinéma. À la télé, certes, la fiction tient une place prépondérante, mais les jeux, magazines, émissions de variétés, ou documentaires ont aussi toute leur place. Reste que le modèle économique du jeu vidéo est bien plus proche de celui du cinéma que de celui de la télévision : des productions qui coûtent cher, et que le joueur, comme le spectateur, paie individuellement. On achète chaque jeu comme on paie un billet pour chaque film que l’on veut voir sur grand écran¹. En tout cas, c’était le cas jusqu’à il y a peu.
Car les formules de catalogues par abonnement, Game Pass en tête, rebattent les cartes, et éloignent encore un peu le jeu vidéo du modèle du cinéma pour le rapprocher de celui de la télévision, d’autant plus qu’aujourd’hui, cette dernière accueille les fameuses plateformes de streaming (Netflix, Disney +, etc.). On a d’ailleurs longtemps évoqué le « Netflix du jeu vidéo » pour décrire le Game Pass.
En devenant un peu plus comme la télé, le jeu vidéo va-t-il alors voir arriver de nouveaux genres ? Si l’immense majorité du public consent aisément à payer son billet pour aller voir un film (on entend des protestations sur le prix, que certains peuvent trouver trop élevé, mais jamais sur le principe de payer pour voir le film), les choses seraient probablement différentes s’il fallait sortir la carte bancaire à chaque fois qu’il était question de regarder un numéro de « Tout le Monde Veut Prendre sa Place » ou de « Koh Lanta », des émissions qui remportent pourtant un franc succès dans le modèle économique qui est le leur aujourd’hui.
De même avec les documentaires et reportages : si les documentaires animaliers ont un vrai public, y compris (mais pas seulement) le tonton qui aime s’endormir devant le dimanche après-midi, ils sont peu nombreux ceux qui, à l’image du « Peuple Migrateur » ou de « La marche de l’Empereur », réussissent à se frayer un chemin jusqu’à une billetterie qui leur serait consacrée.
Pourtant, il y a des jeux télévisés de qualité, des documentaires remarquables, des téléfilms ou des séries qui n’ont rien à envier aux productions destinées au grand écran… Et en dehors de critères de « qualité », parfois un peu élitistes, on a aussi tout à fait le droit de se faire plaisir devant une série Z de kung-fu, ou un drame un peu régressif. Une offre audiovisuelle permise par ce modèle économique de la télévision (et désormais des plateformes de streaming) qui fait qu’on ne paie pas ce qu’on regarde : la publicité s’en charge, ou la facture est globale.
Aujourd’hui, de la même façon, on paie un abonnement au Game Pass, à PlayStation Plus ou Apple Arcade pour avoir accès à une multitude de contenus. Le catalogue pourrait ainsi héberger des titres qui n’auraient eu que peu de chances de rencontrer leur public sur le circuit traditionnel, avec un ticket à 15 ou 20€ (voire beaucoup plus), mais qui pourraient attirer les joueurs en étant disponibles « sans surcoût » dans un abonnement.
On pense à des jeux comme Child of Eden (de Tetsuya Mizuguchi, également créateur de Lumines ou de Tetris Effect), dont la courte durée de vie du premier run systématiquement mentionnée dans les tests et critiques de l’époque a probablement freiné les ventes, malgré les qualités du soft, et rendu difficile le financement de projets du même acabit. Dans l’actualité, on pense aussi à la collection tout juste initiée par Digital Eclipse avec The Making of Karateka. Une série de softs à la frontière du documentaire et du jeu vidéo, qui, de par sa nature particulière, se réserve à une niche de curieux de l’histoire du jeu vidéo. Mais comme pour les documentaires télé, ces curieux pourraient être bien plus nombreux si le « jeucumentaire » – comme on aime à appeler ce nouveau genre – était disponible dans le cadre d’un abonnement.
Les jeux alternatifs (qui ne sont pas toujours des jeux) sont dans leur immense majorité des initiatives individuelles, des « paris » de tout petits studios, voire des « one man game », balancés dans la jungle de Steam ou sur itch.io et comptant essentiellement sur la chance pour être repérés. L’un des crédos que pourraient se donner les services de jeux par abonnement pourrait être de mettre en avant ces jeux marginaux, de sécuriser aussi leur développement (par un accompagnement éditorial, financier…). Les Game Pass et compagnie œuvreraient ainsi à la diversité du média jeu vidéo, et plus seulement à la disparition des supports physiques !
¹ Le cinéma propose aussi des formules « illimitées » par abonnements, mais elles sont très minoritaires, et représentaient moins de 7% de la billetterie en 2021.
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