Des développeurs historiques japonais, Konami figure parmi les plus légendaires. La société, avec Capcom notamment, a offert aux joueurs les plus anciens des jeux inoubliables. Konami, c’est tout un tas de licences évocatrices, comme Metal Gear, Gradius, Silent Hill, Pro Evolution Soccer ou Castlevania. C’est aussi des talents qui ont contribué à faire avancer le medium du jeu vidéo, comme Hideo Kojima (Metal Gear) ou Kôji Igarashi (Castlevania). La société a su, par son expertise et son expérience, attirer l’amour des joueurs. Konami, au début des années 2000, est à son apogée et rien ne semble impossible à l’entreprise. Mais qui dit apogée, dit aussi chute. Un jour, un revirement. Le hashtag #fuckonami se met à fleurir et la société se met à s’attirer la haine. Les pieds en titane du Colosse se sont atrophiés à force de se reposer sur ses lauriers et il s’est effondré. L’histoire que nous allons vous conter est une histoire d’amour se transformant en haine, de déceptions et d’orgueil.
What the fucKonami ?
De zéro à héros…
C’est en 1969 que naît Konami, paisiblement au pays du Soleil Levant, à Osaka. Il s’agissait alors d’une modeste entreprise de location et fabrication de jukebox fondée par un certain Kagemasa Kozuki. Quatre ans plus tard, le bonhomme s’associe à trois autres mousquetaires et ils créent Konami Industry Co. Ltd. Konami, pour la petite histoire, est la contraction des noms des quatre fondateurs de l’entreprise, Kagemasa Kozuki, Yoshinobu Nakama, Hiro Matsuda et Sokishi Ishihara. Finis les jukebox, l’entreprise se lance dans un secteur prometteur, en cette année 1973 : le jeu vidéo. L’entreprise se met à concevoir des bornes d’arcade. Mais c’est en 1978 que la boîte se met à développer du jeu vidéo. Son premier jeu, Block Game, s’exporte aux Etats-Unis en 1979. Les rouages de l’Histoire sont graissés et prêts à démarrer. Cependant c’est dans les années 1980 que le moteur de l’Histoire se met à ronronner et qu’elle se met en marche.
Forte de ses premiers succès, parmi lesquels Frogger sorti en 1981, l’entreprise s’exporte, et des filiales s’installent aux États-Unis et en Europe. En 1984, tandis que Big Boss construisait sa Mother Base, Konami obtient son indépendance commerciale. Jusque là, l’entreprise avait besoin de l’aide d’acteurs comme SEGA pour vendre ses jeux en arcade. Dans les années 1980, Konami s’intéresse de près aux systèmes dits familiaux. Il s’agit de ce que nous appelons aujourd’hui les consoles de salon. La société se met alors à développer sur micro-ordinateurs comme le MSX, ou sur NES. C’est à cette période qu’apparaissent des jeux qui laisseront leur trace dans l’Histoire du jeu vidéo. Gradius (1985), Castlevania (1986), Contra et Metal Gear (1987), Parodius et Snatcher (1988) ou le redoutable Teenage Mutant Ninja Turtles de 1989 sur NES et son terrible niveau du barrage voient le jour au cours de ce premier âge d’or.
Le second âge d’or
Dans les années 1980, Konami connaît une période de creux. Une partie des développeurs part fonder le très bon studio Treasure, mais Konami sent le vent tourner. L’ère de la 3D approche à grand pas. La société fonde en 1997 la Konami Company Computer Entertainment School, une école de développement qui lui sert de vivier de talents en devenir. La société prend ses distances avec Nintendo et se tourne vers SEGA et sa Saturn, ainsi que vers un petit nouveau dans le monde du jeu vidéo : Sony et sa PlayStation. Débute alors pour la compagnie un âge d’or, voire de platine.
Une nouvelle génération de développeurs émerge, et ceux-ci deviennent des stars. Hideo Kojima et Yoji Shinkawa sont célébrés pour Metal Gear Solid qui offre aux joueurs des moments cultes et mémorables, Akira Yamaoka, compositeur génial, se fait un nom en étant crédité au générique de Silent Hill, qui bouleverse le monde du survival horror et prend à contre-pied le Resident Evil de Capcom en y ajoutant des éléments réellement matures (avec des thématiques très fortes), Koji Igarashi donne un nouveau souffle aux Castlevania en créant un sous-genre, le Metroïdvania qui va chercher son inspiration du côté de la série Metroid de Nintendo, quand à Shingo Takatsuka, plus connu sous le pseudo Seabass, il est simplement le concepteur de Pro Evolution Soccer qui était la meilleure simulation de foot, marchant sur les plates-bandes du géant Electronic Arts et de son rutilant FIFA.
Dans les années 2000, Konami obtient les meilleurs résultats de son histoire. Et la société produit, notamment sur PlayStation 2, des chefs d’oeuvre galactiques. Metal Gear Solid 2: Sons of Liberty et Metal Gear Solid 3: Snake Eater sacrent Hideo Kojima Empereur de la communauté gamer. Silent Hill 2 devient à la fois le meilleur épisode de la série, et l’un des meilleurs représentants de son genre, si ce n’est le meilleur.
Par ailleurs l’entreprise s’offre le luxe de participer au développement et au perfectionnement de styles de jeux. Si en 1996 Parappa The Rapper pose les bases du genre, c’est Konami qui perfectionne le Rythm Game grâce à Beat Mania et le révolutionne avec Dance Dance Revolution qui se joue avec un tapis de danse. Konami a également eu un rôle important dans la création du genre du jeu de drague avec Tokimeki Memorial sorti en 1994.
Bref, tout va bien pour Konami, et tout devrait continuer à aller comme sur des roulettes, non ?
Et le conte de fées devint catabase
Personne n’a rien compris. Tout se passait bien, puis d’un coup, paf. C’est arrivé comme une crise cardiaque, comme une rupture d’anévrisme soudaine. On est passé d’un coup d’une adulation sans borne à une haine profonde. On arrive à une époque pas si lointaine. Presque hier. Tout avait commencé la génération précédente. Le départ d’Akira Yamaoka et la chute en qualité de la série Silent Hill étaient déjà inquiétants, mais c’est lors de la génération actuelle que le n’importe quoi est survenu. Voici les faits du point de vue du joueur lambda. La Xbox One et la PlayStation 4 sont là, et vous apprenez, au détour d’une com loufoque, que Hideo Kojima prépare un Metal Gear Solid 5 en monde ouvert.
Connaissant le bonhomme, vous vous dites « Oh ça va être de la bombe absolue ! » et le jeu, il est vrai, est prometteur. Graphiquement, le titre est attirant, et puis connaissant l’ambition du gaillard, on peut s’attendre à une pure merveille. De plus, le jeu est développé avec un nouveau moteur ahurissant, le Fox Engine. Et puis comme si cela ne suffisait pas, sur PlayStation 4 sort un genre de démo très mystérieuse. Celle-ci s’appelle P.T et les joueurs qui s’y risquent découvrent une petite aventure absolument flippante. P.T est un trailer jouable pour Silent Hills et le projet a de quoi faire rêver. Non seulement le titre dévoile le nom de Kojima aux commandes, mais en plus celui-ci est secondé par Guillermo Del Toro, réalisateur du Labyrinthe de Pan et de Pacific Rim. Enfin Norman Reedus, le Daryl Dixon de la série populaire The Walking Dead, est également impliqué dans le projet. Avec ça, l’avenir de l’entreprise semble tout tracé.
Mais du jour au lendemain, P.T est retiré du PSN. Konami annonce à une foule éberluée que le projet Silent Hills est annulé. Par ailleurs, le nom de Kojima (qui avouons-le, a tout de même des chevilles de la taille de la Tour Montparnasse) est retiré du titre de Metal Gear Solid V: The Phantom Pain. Lorsque le titre sort, les joueurs font grise mine. Le jeu est bon, mais il a un arrière-goût d’inachevé. En 2015, année de sortie de Metal Gear Solid V, c’est officiel. Hideo Kojima quitte la boîte.
Comme si cette nouvelle n’était pas assez choquante pour les joueurs qui associent l’homme à la marque, la compagnie annonce qu’elle envisage de suspendre le développement de jeux vidéo au profit de machines de pachinko. Par ailleurs, Konami use de ses licences les plus adulées pour ces machines à sous à coups d’annonces en grande pompe qui sonnent comme des provocations. Les joueurs dégoûtés voient alors Castlevania relégué à un vulgaire jeu de pachinko sous-titré Erotic Action, il en va de même pour Metal Gear Solid 3, considéré comme le meilleur titre de la série. Et quand Konami annonce un jeu, cela sonne comme une insulte. Metal Gear Survive, qui devient un jeu avec des zombies, en totale rupture avec la série, prend des airs de doigt d’honneur adressé à Kojima et ses fans. C’est officiel, le divorce est prononcé entre les joueurs et la société.
Les racines du mal
Une fois que nous avons posé l’histoire, il peut s’avérer utile d’essayer de comprendre les tenants et aboutissants, et de s’interroger sur l’envers du décor. Aujourd’hui, Konami, pour de nombreux joueurs, c’est le mal, le Méphistophélès du jeu vidéo. Mais que s’est-il passé en coulisses ? Comment passe-t-on de boîte à rêves à cauchemar ambulant ? Quelles sont les racines du mal ? Eh bien, l’argent pardi ! Tout au final n’est qu’une sombre histoire de gros sous, de cupidité, de recherche de profit immédiat. Et là, accrochez-vous, car cette histoire deviendra hélas bien banale dans le monde de l’entreprise.
2010. Un jeu mobile développé par Konami rencontre un succès fou. Dragon Collection est salué par la critique et le public au Japon. Le titre rapporte un max de thunes, pour un investissement minimal. Le nouveau président, Hideki Hayakawa, affirme une nouvelle position de l’entreprise à la lumière de ces éléments. Produire des jeux vidéo, ça coûte cher et ça rapporte pas des masses. Alors le Kojima et son Metal Gear Solid V au budget faramineux de 10 milliards de yen, soit environ 73 millions d’euros, ils sont bien gentils, mais bon… C’est à cette période que l’entreprise change de politique, et opte pour un durcissement des conditions de travail qui ferait frémir d’horreur n’importe quel CHSCT (Comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail). Un article du journal économique nippon Nikkei, intitulé « Konami, l’empire Kozuki a commencé à se déchirer », relate quelques expériences de salariés de Konami, et ceux-ci en ont bavé semble-t-il.
Il est difficile d’être un développeur dans une société japonaise qui décide de ne plus produire de jeux vidéo. Et d’après les témoignages, la direction de Konami est très douée pour faire ressentir à ses salariés jugés inutiles qu’ils sont indésirables. Ainsi, selon l’article de Nikkei, le studio de Kojima a été renommé Département de production n°8, ce qui est assez humiliant quand on est une personnalité phare ayant contribué au succès de l’entreprise. Par ailleurs, l’accès à Internet du studio a été restreint, se limitant à une utilisation d’Intranet pour s’envoyer uniquement des messages de service.
Les salariés seraient par ailleurs tracés par l’entreprise selon l’article de Nikkei, via vidéosurveillance ou un système de badges. L’intrusion dans la vie privée des salariés va jusqu’au fliquage de comptes Facebook. Certains salariés auraient vu leur place dans l’entreprise remaniée suite à un like mal vu sur un post annonçant une démission avec un peu trop de joie. Enfin, certains développeurs jugés inutiles auraient été redéployés à des postes n’ayant aucun rapport avec leurs compétences, comme agent d’entretien (!) ou réparateur de pièces de machines de pachinko. L’article du Nikkei est édifiant et témoigne d’un management sauvage qui appuie la volonté de la société de se séparer du jeu vidéo.
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Des décisions managériales douteuses, une volonté affichée de s’éloigner du monde du jeu vidéo pour un rendement plus rapide, une vision que certains pourraient juger à court terme, voilà les ingrédients qui ont suffit à mettre Konami à terre. Les développeurs phares sont partis, et la confiance des joueurs a été piétinée. Le microcosme vidéoludique est rempli d’histoires de compagnies de développement adulées puis conspuées (Electronic Arts et Ubisoft notamment). Mais aucune n’a autant cristallisé de frustrations que Konami. C’est peut-être parce que nombre d’entre nous ont grandi avec cette entreprise. Les trentenaires ont quasiment tous joué à Teenage Mutant Ninja Turtles, tout le monde connaît Metal Gear Solid, et Castlevania a été une série majeure. Voir Konami s’emmêler les pinceaux, c’est comme voir la déchéance d’un ami d’enfance. Bien sûr, la boîte n’abandonne pas le jeu vidéo définitivement. L’annonce, au TGS 2017, d’un remake de Zone of the Enders: the Second Runner permet l’espoir de voir la compagnie renaître de ses cendres.
Peut-être un jour, à la tête de Konami, la direction entendra-t-elle les cris de millions de joueurs orphelins des licences chères à leur cœur…