Si vous ne connaissez pas Red Candle Games, nous ne pouvons que vous conseiller de fondre sur leur premier jeu horrifique Detention. Une petite perle qui a apporté la notoriété dans le monde indépendant à son studio, tout en le faisant entrer directement dans la cour des grands pour ce qui concerne le genre horreur. Il s’agit là d’une petite boite taïwanaise qui s’inspire du folklore asiatique pour nous pondre des titres aussi effrayants que profonds, donnant corps et sens à l’horreur, tout en encrant le récit dans le quotidien monotone de ses protagonistes.
Si nous parlons ici au pluriel, c’est justement parce que si Detention appliquait cette formule à merveille, Devotion fait de même et tout en proposant un schéma de jeu totalement différent, parvient à maximiser l’impact de son histoire sur le joueur. Un nouveau palier de franchi pour Red Candle Games qui confirme par la même occasion qu’il va falloir compter sur le studio dans les prochaines années pour nous offrir de grandes expériences de jeu.
(Test de Devotion réalisé sur PC avec version fournie par l’éditeur)
Alors que Detention prenait place dans le Taïwan des années 60, Devotion, qui n’est pas une suite à ce dernier, nous propose de rejoindre cette même patrie pendant les années 80 et donc durant la chute du régime totalitaire en place. Ceci est important, car les thèmes traités sont de ce fait différents, et pour le coup bien moins politisés, mais plus axés sur la religion et ses dérives notamment. Il est y est question du quotidien d’une famille composée de deux parents et d’une jeune enfant. On y incarne le père, scénariste en manque de reconnaissance et cherchant le succès pour améliorer sa vie familiale.
Devotion nous invite alors à prendre part au quotidien dramatique et désabusé de cette petite maisonnée au travers d’un voyage décousu et non linéaire sur quelques années, de début 80 à 87 pour être plus précis, nous plongeant toujours un peu plus dans le triste pour une finalité assez surprenante.
On vit littéralement les heures les plus sombres d’une famille qui voit son harmonie se briser pour laisser place au chaos suite à la maladie naissante de l’enfant, aux aspirations d’une mère qui n’arrive pas à oublier son glorieux passé et aux déceptions d’un père qui ne peut faire face à tout cela.
La religion tient une place importante dans le récit et Red Candle n’y va pas de main morte lorsqu’il s’agit de critiquer les croyances aveugles et faux espoirs qu’elle peut apporter à l’individu via des charlatans jouant avec le désespoir des gens pour glaner quelques deniers. De croyances religieuses, il n’est pas seulement question, puisque le folklore taïwanais et les superstitions, ou encore les contes et légendes font aussi partie intégrante du jeu.
On trouve de nombreuses informations tout le long de notre périple sur tout ceci, ainsi que sur l’évolution de la vie familiale de notre personnage via des journaux à trouver et lire, ou encore grâce à une narration plus classique et contemplative, mais tout aussi efficace.
La carte de l’ambiance
Loin de nous l’idée de vous en dire plus sur le scénario, car il est l’un des très bons points de ce Devotion et drive toute notre avancée, il est le GPS qui guide nos pas pour résumer. Et lorsque l’on affirme une telle chose, ce n’est pas pour rien puisque la narration régit le game-design.
Le titre est ce que l’on appelle communément un « walking simulator » à la première personne, misant donc avant tout sur son univers et son ambiance plus que sur ses situations de jeu pour captiver le joueur. Un bon scénario est alors primordial, tout comme la narration qui se doit d’être suffisamment séduisante pour capter l’attention, sans pour autant dévoiler toutes ses cartouches trop tôt. Et cela, Devotion l’accomplit à merveille, nous faisant naviguer entre différentes temporalités pour réunir toutes les pièces d’un puzzle bien plus complexe qu’il n’y parait, le jeu nous envoyant constamment sur de fausses pistes.
En tous cas sur sa première partie, durant laquelle notre promenade est accompagnée par une ambiance horrifique fonctionnant à merveille et jouant sur nos peurs comme un chien ronge un os, c’est-à-dire sans aucune retenue. Red Candle a pris le parti de nous enfermer (quasiment) toujours dans le même étage d’appartements et plus particulièrement dans le nôtre.
Sur différentes années, nous sommes donc amenés à parcourir les couloirs sombres de l’immeuble et visiter sans arrêt la même habitation, piégée dans une boucle temporelle narrative et dramatique en étant plus spectateur qu’acteur des événements qui s’y déroulent. Une formule qui marche et qui passionne tant les événements horrifiques et narratifs s’enchaînent sans temps mort, nous faisant oublier un gameplay quelque peu sommaire.
C’est durant la première heure du jeu que l’on navigue en ligne droite avant d’arriver dans une sorte de point central faisant office de HUB duquel partent des couloirs menant à notre appartement sur différentes époques. Il faut donc à ce moment-là résoudre quelques casse-têtes et puzzles en trouvant des indices et objets utiles dans une année pour les utiliser dans d’autres.
À cet instant précis, le jeu se perd un peu, car s’il y arrive que Red Candle reprenne les rênes du récit avec un brio certain, comme ce passage nous faisant incarner une jeune fille dans un conte, le rythme tombe plutôt à plat lors de notre recherche, et ce même si le challenge est proche du néant.
Les aléas du gameplay
Et on attaque là le principal problème de Devotion. Car s’il est effrayant, grâce à une ambiance maîtrisée et une bande sonore de très grande qualité, il pêche par son gameplay et surtout parce qu’il n’offre aucun challenge. L’un des rares moments où l’on est pris en chasse par une entité s’avère sans saveur et totalement loupé, il n’y a aucune pression, et ce, malgré le fait que l’on évolue dans un labyrinthe, il suffit seulement d’aller tout droit et d’essayer toutes portes sans se retourner.
Les énigmes sont elles aussi d’une trop grande simplicité, il suffit de récupérer des objets pour les poser ailleurs la plupart du temps. À aucun moment Red Candle n’a essayé de pousser la formule un peu plus loin, et c’est alors que l’on se rend compte que l’on est à la fin du jeu et que celui-ci est terminé, après seulement deux heures et demie, voire trois heures si on se perd un peu lors du passage avec le HUB.
En toute dévotion
Finalement, Devotion brille avant tout par son scénario, son ambiance étant aussi une franche réussite, alors que visuellement le jeu fait le taf, en nous proposant des graphismes photoréalistes de très bonne facture. La direction artistique participe grandement à poser une ambiance inquiétante et tendue, sachant retranscrire à l’écran le malaise ambiant, alors qu’interviennent parfois de véritables pépites d’inventivités visuelles que nous vous cachons sciemment pour ne pas vous gâcher la surprise.
Dommage par contre que les quelques jump-scares ne fassent pas toujours mouche, mais Devotion étant un jeu d’ambiance avant tout, cela n’est pas très grave?; d’autant plus que les développeurs ont plus d’un tour dans leur sac pour nous surprendre et nous faire mourir de peur via d’autres procédés moins putassiers dirons-nous en toute franchise.
Devotion est un deuxième jeu réussi pour Red Candle Games qui surprend encore une fois par sa maturité, alors même qu’il est un jeune et petit studio. Sans être un nouveau chef-d’œuvre comme le fut Detention (de notre point de vue en tout cas), les développeurs nous ont tout de même apporté en ce début d’année 2019 une nouvelle pépite du jeu d’horreur asiatique.
Surfant sur le succès de Layers of Fear et autres walking-simulators du même genre, Devotion est une perle narrative et horrifique à côté de laquelle les fans du genre ne peuvent passer. Tout n’est pas parfait, mais la qualité de l’expérience proposée vaut bien quelques déconvenues, finalement pas si importantes que cela.