Fiche de perso est une rubrique dans laquelle nous tirons le portrait d’acteurs du jeu vidéo, réels ou fictifs, qui pèsent ou ont pesé sur l’industrie. Aujourd’hui, on a eu la chance de pouvoir interviewer la personne à qui nous tenterons de faire honneur à travers ces lignes. Un grand merci donc à David Doak pour avoir échangé avec nous, ça aura été un vrai plaisir de découvrir un peu l’envers du décor de ces jeux qui auront façonné notre enfance.
Il fut un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Un temps où les manettes ne possédaient qu’un seul joystick (voire pas du tout). Une époque révolue où le FPS sur consoles, le vrai, se passait sur Nintendo 64. Oui, vous avez bien lu. Nintendo, habitué du contenu familial, dominait le game de la mitraillette sur manette. Une domination que l’on doit en totalité au studio Rare, et à une fine équipe dont nous avons eu la chance d’interviewer un membre : David Doak. Chaussez vos bottes en 64 bits, on part tout droit pour un voyage aux (presque) origines du FPS sur consoles.
David Doak et la période Rare
Au début des années 90, David Doak débarque chez Rare afin de bosser en tant qu’agent de maintenance pour les machines Silicon Graphics. Ces machines étaient d’une importance capitale, car elles étaient en quelque sorte le matériel qu’utilisait à l’époque le studio pour éblouir l’industrie du JV à grands coups de claques graphiques, comme par exemple Donkey Kong Country sur SNES. Une fonction que n’occupera pas très longtemps David, puisque à l’époque dans les studios, il était plutôt bon d’être polyvalent. Car oui, en c’temps là, les équipes dépassaient très rarement les vingt personnes, et tout le monde pouvait se retrouver à faire un peu n’importe quelle tâche en apprenant sur le tas.
Notre cher David commença donc à œuvrer (toujours en tant que support technique) sur le troisième volet de DK Country, en toute fin de vie de la SNES. Parallèlement à ce projet, un certain Martin Hollis décidait de prendre son entrejambe à pleine main pour la poser avec fracas sur la table des frères Stamper (les créateurs du studio) afin d’obtenir la responsabilité d’une certaine adaptation de Goldeneye.
Peu de temps après, notre Martin devenu responsable fit le tour des bureaux pour savoir qui serait chaud pour travailler avec lui sur ce projet. Malheureusement, une adaptation de film sonnait déjà comme un projet peu qualitatif et pas spécialement intéressant, et il eut du mal à rassembler du monde. Toutefois, l’idée d’être intégré sur le projet intéressa un certain Dr Doak qui souhaitait démissionner de chez Rare pour découvrir de nouveaux horizons. Et la bonne surprise, c’est qu’il fut en charge de l’adaptation de l’histoire en jeu. C’est par exemple en partie grâce à lui que nous avons eu cette fameuse scène d’intro où l’on peut tuer un ennemi dans les toilettes.
David nous raconte d’ailleurs ce que devait être initialement Goldeneye :
« En fait, au départ, on devait bosser sur un rail-shooter pensé pour la manette, à la façon d’un Time Crisis. Les déplacements sont donc prévus d’avance, et vous tirez simplement sur vos ennemis à la manette. Toutefois, on s’est rapidement rendu compte que ce n’était absolument pas amusant, et on a donc changé de direction. »
Un développement compliqué donc pour l’équipe qui ne baissera pas les bras et qui, au contraire, posera les bases d’un jeu qui inspirera la majorité des gens du secteur, dont les créateurs d’un certain Half-Life…
Mais évidemment, lorsqu’on pense Goldeneye, on pense multijoueur, et à ce sujet, Dr Doak nous raconte que les équipes en charge des autres jeux (Banjo-Kazooie, Conker, etc.) jouaient à chacune de leurs pauses à ce qui deviendra l’un des hits majeurs de la Nintendo 64 (il finira même meilleure vente de la console aux USA, c’est dire !).
Toujours dans le rayon des anecdotes, David nous raconte comment il a fini modélisé dans le jeu :
« On a modélisé les visages de l’intégralité de l’équipe dans le jeu, et au départ, la direction a demandé d’enlever le fameux Dr Doak, qui était présent dans l’histoire principale. On a évidemment obéi, mais quelque temps avant de livrer la copie finale, nous avons pris la décision de tout remettre ! »
Du Rare pur jus en quelque sorte.
Malheureusement, le succès de Goldeneye n’aura pas été suffisant pour permettre à de nombreux membres de l’équipe de progresser au sein d’une hiérarchie établie d’avance. Un manque de reconnaissance dont a souffert une bonne partie du staff, et qui conduira quelque temps plus tard à la première scission de Rare alors en plein développement de Perfect Dark, avec notre cher David en tête de liste des départs. Une décision qu’il résumera simplement :
« Quitte à passer ma vie au travail, autant que j’en récolte les fruits. »
C’est ainsi qu’en 1999, notre docteur préféré, accompagné de Steve Ellis, Karl Hilton et Graeme Norgate, créa Free Radical Games.
L’épopée Free Radical Design
Une nouvelle aventure commence donc pour un David poussé par de réelles ambitions : développer un jeu pour le lancement de la PS2. Compliqué, surtout lorsque l’on connaît la difficulté pour obtenir les kits de développement de la console. Toutefois, et à la surprise générale, Free Radical Design en reçoit plusieurs après à peine six mois d’existence ! Les équipes se mettent donc à travailler sur ce qu’elles font le mieux : des FPS consoles.
C’est ainsi que l’équipe nouvellement créée planche sur le premier TimeSplitters. Un épisode sur lequel David passe rapidement, ce dernier étant « bâclé » faute de temps. En effet, le lancement d’une console ne peut se décaler par l’opération du Saint-Esprit, et Free Radical Design a fait de son mieux pour sortir un jeu convenable, « just on time » comme ils disent là-bas. Toutefois, le studio a des idées, et compte bien maintenant prendre le temps pour sortir le jeu de leurs rêves.
À grand renfort de fous rires et de travail acharné, l’équipe peaufine le second épisode de TimeSplitters, considéré par beaucoup comme le meilleur de la trilogie. Plus abouti dans son mode solo, le jeu peut aussi se targuer de disposer d’un éditeur de map bienvenu et assez inédit pour l’époque. Un travail de longue haleine sous la houlette de Dr Doak, « designer » sur l’ergonomie de ce petit plus qui fera tout le charme du jeu. Charme que l’on retrouvera évidemment dans le troisième opus, véritable bijou indispensable à toute ludothèque qui se respecte, en dépit du peu d’ajouts par rapport au numéro 2.
Peu après, le studio tentera de lancer Haze sur PS3, qui sera malheureusement un échec commercial annonçant la fin de Free Radical Game, qui sera racheté peu après par Crytek. Mais, des années après, que reste-t-il de l’héritage laissé par David Doak et son équipe ? L’intéressé nous répond :
« À l’époque de la PS3, la « mode » dans le jeu vidéo était au réalisme, et les éditeurs suivaient évidemment ce courant. Un passage difficile pour nous, car notre plus grande force résidait dans l’esprit cartoonesque et un peu barré de nos jeux. Toutefois, si l’on se penche sur ce qui cartonne aujourd’hui, et notamment Fortnite, on peut voir que Time Splitters a clairement fait partie des inspirations pour la direction artistique et les skins de pas mal de personnages. C’est donc au final un peu ici que l’on retrouve notre esprit. »
Cerise sur le gâteau, David nous a révélé le type de jeu qu’il affectionne particulièrement en ce moment :
« J’aime les jeux courts. Les grands triples A « m’ennuient » assez rapidement, dans le sens que j’ai juste besoin de quelques heures pour comprendre les mécaniques du jeu. Cependant, il y a une vraie exception : Breath of the Wild, qui est un très très bon jeu. Après, récemment, j’ai pris beaucoup de plaisir sur A Short Hike, qui doit durer à peine trois heures, mais qui maîtrise bien son sujet. Tout comme Bad North, un jeu que je recommande. »
Et c’est ainsi que s’achève l’histoire narrée par notre cher docteur qui désormais enseigne de manière régulière au sein d’une faculté anglaise, offrant de temps à autre un moment plus qu’agréable à un fan ayant été bercé par l’époque dorée de Rare et des débuts du FPS sur consoles.