La dernière fois qu’on avait suivi un conseil littéraire d’Hideo Kojima, c’était pour lire l’incroyable roman graphique The Electric State, qui reste l’un des tous meilleurs bouquins de science-fiction qui nous soit jamais arrivés entre les mains. Cette fois, le quatrième de couverture arbore fièrement la recommandation de Kojima-Sensei, alors on se dit que si L’Empire des Mechas n’est qu’à moitié aussi bon que The Electric State, on tiendra là notre livre de sci-fi de l’automne…
Uchronie et robots géants
« Elle désengage les roues et sprinte vers les trois mechas.
– On est un peu près, non ?
Elle m’ignore et me laisse à mon appréhension. La tourelle du premier bipède pivote dans notre direction. Elle fonce droit dessus. Il tire, mais le Taka est plus rapide. Elle le dépasse et l’attrape par le mantelet. Le recul du canon est bien plus important que je ne l’aurais pensé, la coque doit avoir du mal à absorber le choc. Profitant de l’élan du Taka, nous n’avons aucun mal à le pousser contre son collègue derrière lui. L’impact me prend par surprise. Le fracas métallique résonne sur le pont, qui gémit sous le choc. Les détecteurs m’informent que les protections du bras ont atteint les limites de pression. La ceinture de sécurité m’empêche de tomber, mais ne m’épargne pas le coup du lapin. Imaginez deux sumos lancés l’un contre l’autre à pleine vitesse, en armure… Vous serez encore loin du compte. Le Javelin bascule et entraîne son compagnon dans sa chute. Astucieux. » (p. 75)
Peter Tieryas, l’auteur du roman, imagine une fin alternative à la seconde guerre mondiale. Les Allemands et les Japonais ont vaincu les États-Unis, et se sont partagé l’Amérique du Nord. La partie désormais contrôlée par le Japon a été rebaptisée États-Unis du Japon (EUJ), et contrôle et protège son territoire grâce à la maîtrise d’une technologie redoutable : les mechas. Des robots géants qui sont en fait de gigantesques armures, façon Gundam ou Pacific Rim, et qui tiennent en respect les nazis de l’armée allemande de l’autre côté de la Frontière Silencieuse, où il se murmure qu’il se passe des choses indicibles. Les pilotes de mechas sont considérés comme des héros, et tous les enfants rêvent d’être un jour aux commandes de l’une de ces machines.
Makoto, “Mac”, est de ceux-là. Ses parents travaillaient sur les mechas et furent tués durant une opération militaire. Pupille de la nation, il rêve aujourd’hui de devenir à son tour pilote. Cependant, il se rendra vite compte que sans les appuis d’une famille au bras long, et n’étant pas lui-même plus doué que n’importe qui d’autre, son rêve aura toutes les chances d’en rester un. À moins que des événements soudains lui permettent de montrer son courage ? (spoiler : évidemment ! ).
En attendant son heure, c’est dans la salle d’arcade locale que Mac aiguise ses réflexes. Un futur pilote d’élite qui s’entraîne sur des jeux vidéo, on connaît, c’est The Last Starfighter, le film de 1984 qui surfait sur la mode Star Wars / Tron. Et la dernière fois qu’un roman s’était inspiré de l’idée, cela avait donné le fainéant Armada, d’Ernest Cline, qui nous avait particulièrement déçu (d’autant plus qu’on avait bien aimé son livre précédent, Ready Player One). Plutôt emballé par l’idée de vivre une aventure qui parle de mechas qui chassent des nazis, mais échaudé par l’expérience Armada, nous abordons les premières pages de L’Empire des Mechas avec méfiance…
Un livre à la hauteur de ses mechas ?
Des doutes qui seront vite levés tant le roman saura nous emporter. Outre les bonnes grâces de Kojima, décidément infaillible, L’Empire des Mechas a également été salué cette année par le prix Seiun du meilleur roman étranger. Le Seiun est un prix japonais qui récompense chaque année les meilleures œuvres de science-fiction, et qui a couronné par le passé des ouvrages aussi importants que Dune, de Frank Herbert, Hypérion, de Dan Simmons ou plus récemment Seul sur Mars, de Peter Weir.
On est tenu en haleine par une écriture particulièrement bien rythmée, où chaque temps calme rebondit assez rapidement sur des péripéties pleines de suspense qui rendent le livre difficile à lâcher. Un vrai “page-turner”, comme on dit dans l’univers du polar.
Surtout qu’assez rapidement, l’auteur nous montre qu’il est capable de tout. Si le destin de Mac est relativement acquis, à plus ou moins longue échéance, il devra passer par de nombreuses épreuves spécialement désagréables. Peter Tieryas n’hésite pas à faire régulièrement échouer son héros, à tuer des personnages pourtant importants, nous offrant ainsi surprises et rebondissements, et évitant que son ouvrage ne suive un plan trop cousu de fil blanc.
Un mecha, ça peut cligner de l’œil ?
Aux qualités de sa narration, Peter Tieryas ajoute nombre de références qui accrocheront le lecteur un peu (beaucoup ?) nerd, fans de jeux vidéo et du Japon que nous sommes ! Et du côté des références, on peut faire confiance à l’auteur, qui est aussi journaliste, et travaille également pour le cinéma et le jeu vidéo. Il a ainsi écrit entre autres pour S-F Magazine, Kotaku ; au cinéma, il a travaillé sur Men in Black 3, I am Legend, ou Les Gardiens de la Galaxie ; et côté jeux vidéo, son CV mentionne Star Wars Jedi Knight II, Escape from Monkey Island ou Medal of Honor…
Les États-Unis du Japon mixent ainsi les cultures américaine et nippone, et, Mac étant particulièrement gourmand, le roman affichera une véritable litanie de plats japonais.
« -Ils trempent le boeuf Wagyu dans une sauce spéciale de panko et de soja, avant de la frire pendant trente secondes à cent quatre-vingt degrés. Elle coupe le morceau et reprend. Il est rosé au milieu, parfait. Cette soupe miso est préparée chaque matin par le chef lui-même avec de l’aka dashi frais. Et ce n’est pas du dashi en poudre… Il est bouilli avec la bonne quantité de Katsuobushi, pour un équilibre umami idéal. Itadakimasu ! » (p. 108-109).
Les mangas, animes, et les jeux vidéo ne sont pas en reste. Et là aussi, on retrouvera de nombreuses références et autres clins d‘œil plus ou moins transparents.
« Le cours de littérature et de rhétorique japonaise est principalement un exercice de lecture, pour lequel on nous demande d’étudier les auteurs classiques tels que Shirow, Fuji, Mishima, Gunpei, Anno et Miyazaki, parmi d’autres. » (p. 209).
« Je ne vois plus rien. Les bras levés, je glisse dans la boue. J’espère un instant lui retourner un direct, mais j’hérite à la place d’un violent uppercut qui enfonce une partie de la tête. La console s’écrase contre moi et me coupe le souffle. Il ne lâche rien et continue de m’abreuver de coups. On m’avait parlé de cette technique, utilisée à l’époque par l’autre Kujira : le Poing de Pégase. » (p. 245-246).
À noter que si la situation des États-Unis du Japon, ses relations complexes avec le côté allemand et le reste du monde, peuvent sembler un peu flous à la lecture des premières dizaines de pages, c’est aussi que c’est une uchronie qui a débuté dans le roman précédent de l’auteur, United States of Japan, malheureusement inédit en France (pourtant best seller, notamment au Japon, où il a reçu tout comme L’Empire des Mechas, le prix Seiun en 2016). Néanmoins, pas d’inquiétude, L’Empire des Mechas se lit très bien de manière indépendante.
Excellente surprise que cet Empire des Mechas. Son pitch nous a, c’est vrai, d’abord un peu inquiété, mais il n’aura fallu que quelques pages pour nous convaincre qu’on tenait là un vrai bon roman de S-F. Si la fable politique est un peu en retrait, au profit du rythme et de l’action, le traitement réservé aux nazis selon les différents personnages reste intéressant, et il faut noter la place des filles dans le livre, souvent en première ligne, sauvant plus qu’à leur tour les miches de leurs homologues masculins (et c’est un peu triste, mais ce n’est de nos jours pas anodin !). On espère sincèrement que que le succès sous nos latitudes (ailleurs, c’est déjà gagné !) sera au rendez-vous, et ainsi convaincre les éditeurs de nous proposer aussi les précédents ouvrages de l’auteur.
Pour Omaké Books, après avoir édité de nombreux ouvrages sur les jeux vidéo et quelques mangas, ces débuts dans la publication d’un roman sont déjà une réussite éditoriale dont on attend impatiemment la suite.