C’est ce lundi que Platinum Games a officiellement réagi aux allégations de la doubleuse Hellena Taylor. Pour rappel, l’actrice, dans une opération coup de poing, a pris la parole pour dénoncer le traitement dont elle aurait été victime, au mépris des accords de non-divulgation généralement institués. Celle-ci affirmait qu’on lui avait proposé un cachet de 4 000$ pour le doublage de Bayonetta. Elle donne assez de détails sur la situation, en affirmant que cette offre aurait été faite après qu’elle était allée parler au réalisateur du jeu Hideki Kamiya.
Une source de Platinum Games offre au journaliste Jason Schreier, connu pour son engagement auprès des petites mains derrière nos jeux favoris, une vision bien différente de la situation. Platinum Games aurait offert à Hellena non pas 4 000$ pour le jeu entier, mais par session d’enregistrement. De plus, la source révèle que, alors qu’Hellena était en discussion avec le studio, il était estimé qu’au moins cinq sessions de quatre heures, la durée standard dans l’industrie, allaient être nécessaires à l’enregistrement, selon deux personnes ayant participé à la négociation.
Hellena Taylor aurait refusé l’offre, puisqu’elle aurait réclamé un salaire total d’au moins 100 000$ ainsi que des droits sur la valeur résiduelle du jeu. C’est uniquement après son refus que le studio serait allé à la recherche d’une nouvelle doubleuse, qui s’est révélée être Jennifer Hale. Pour faire preuve de bonne volonté, le studio aurait également proposé à Hellena un caméo dans le jeu pour le prix d’une session.
Il est difficile d’imaginer quelle serait la valeur des résiduels, puisque ces droits, s’ils sont considérés, sont généralement négociés sous des accords de non-divulgation. Il s’agit d’une somme d’argent versée lorsqu’un produit culturel (ici, un jeu vidéo) est réédité ou vendu sous une nouvelle forme. En somme, c’est un peu comme les royalties, à ceci près que les « residuals » comme ils sont généralement appelés sont généralement gagnés suite à l’action d’un syndicat.
Cependant, Helenna remet bien entendu en cause cette version des faits, puisqu’elle explique dans un message envoyé à Bloomberg, où est paru le démenti, que cette version est « un mensonge total », et que Platinum Games essaie de « sauver leurs intérêts et le jeu ». Il est impossible de juger de qui a raison ou qui a tort – Jason Schreier ne peut pas divulguer ses sources, et il est évident qu’Helenna ne va pas changer sa version des faits maintenant que l’affaire a été autant relayée.
Il est important de noter le contexte dans lequel cette affaire se déroule. D’une part, le traitement des doubleurs à travers l’industrie du divertissement est une cause qui est de plus en plus défendue. De l’autre, le hasard a voulu qu’une affaire remette sur le devant de la scène le passif de Nintendo face aux syndicats, qui est, tout du moins, peu reluisant. Si l’affaire d’Hellena Taylor a été relayée aussi vite, et aussi fort, c’est parce qu’on ne profite que très rarement d’un jeu dans le vide. Il est très probable que les fans de jeux japonais apprécient également l’animation japonaise. Or, ces derniers mois, divers doubleurs anglophones sont revenues sur les contrats en vigueur dans l’industrie de l’animation.
C’est dans l’affaire autour du film Jujutsu Kaisen 0, qui s’est développée moins d’un mois avant qu’Hellena Taylor ne s’exprime, qu’il faut chercher pour comprendre en partie la levée de boucliers qui est immédiatement arrivée suite à ses vidéos. En effet, deux doubleurs du film en question se sont exprimés au sujet de leur contrats : ils n’auraient été payé que 150$ pour l’intégralité de leur travail sur le film. S’il s’agit, encore une fois, de simples allégations, les affirmations de Chris Tergliafera (Kiyotaka Ichiji) et Anairis Quiñones (Rika Orimoto) sont raccords avec les commentaires d’autres doubleurs sur ce projet.
Il s’agit également d’une affaire suffisamment importante pour que la question de la syndicalisation de la profession se pose une nouvelle fois – et soit soutenue par d’autres noms dans le métier, comme Zeno Robinson (Hawks dans My Hero Academia). Il ne serait pas surprenant que de nombreuses personnes aient commis un amalgame entre les deux industries, dont les standards de traitement sont très différents. Pour autant, cela ne signifie pas qu’il y ait un problème vis-à-vis de la considération des développeurs, artistes, doubleurs, et plus généralement travailleurs du jeu vidéo. Problème exemplifié par le distributeur-même du jeu : au moment où cette affaire commence, une autre se résout. Celle du conflit entre Nintendo of America et Mackenzie Clifton (QA testeur).
Le salarié licencié en avril avait déposé une plainte auprès du National Labor Relations Board (le bureau chargé d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail), faisant valoir qu’il était capable de prouver que son licenciement était lié à une réunion où il avait mentionné la syndicalisation. Si l’enquête n’aboutira pas, c’est bien parce que Nintendo admet à demi-mot que Mackenzie avait visé juste : l’entreprise et le testeur ont pu atteindre un accord, à hauteur de plus de 25 000$.
Ce contexte ne fait qu’attiser des tensions, qu’Hellena Taylor, avec ses vidéos, aura fait fructifier. Maintenant, qu’elle soit justifiée, ou que l’histoire entre Platinum Games et l’ancienne doubleuse de Bayonetta ne devienne un avertissement de la manière dont certains manipulent l’opinion publique à leur avantage, seule la justice, si l’affaire en arrive là, pourra trancher.