Imaginez un peu : une compétition d’esport, engageant différents jeux vidéo, dans laquelle les joueurs ne s’affrontent pas au nom d’un club, mais au nom de leur pays. C’est déjà quelque chose qui existe en Asie avec du League of Legends, Street Fighter et presque vingt autres titres aux côtés de la natation, du tir à l’arc ou du judo lors des Asian Games. Le comité derrière l’Esports World Cup souhaite proposer quelque chose de similaire à l’échelle mondiale avec l’Esports Nations Cup, une compétition d’esport qui opposera les nations plutôt que les clubs.
Avec une première édition prévue en novembre 2026, le comité a déjà annoncé la présence de plusieurs éditeurs et développeurs en tant que partenaires de l’événement, notamment Electronic Arts, Krafton, Tencent et Ubisoft. Ces partenaires devront veiller au développement des circuits de qualification, ce qui ne sera pas une mince affaire au vu des calendriers compétitifs toujours plus chargés de certains titres.
Au moins, cette compétition ne se déroulera qu’une seule fois tous les deux ans, et changera de ville-hôte à chaque édition. Un casse-tête en plus pour les organisateurs des circuits compétitifs, mais l’assurance que les joueurs seront moins sollicités que pour l’EWC.
L’Esports Nations Cup, un événement qui fait redite ?
Si l’annonce de l’événement est inattendue, c’est bien parce que Riyadh doit déjà accueillir une compétition internationale opposant les nations du monde sur différents jeux vidéo compétitifs avec les Olympic Sports Games (les Jeux Olympiques d’Esport) en 2027. Il y aura donc bien deux compétitions d’esport de ce type organisées à Riyadh pour les deux prochaines années.
La différence, elle se fait déjà dans l’organisateur, puisque pour les Olympic Sports Games, l’Arabie saoudite ne fera qu’accueillir un événement, là où l’Esports Nations Cup sera bien organisée par l’Esports World Cup Foundation, une organisation fondée et travaillant à Riyadh. Elle se fera probablement également sur des jeux différents selon les événements, puisqu’historiquement, le comité olympique n’a jamais réellement eu l’intention d’organiser des compétitions sur des jeux mettant en scène de la violence, cela inclue la grande majorité des FPS.
Or, ces « jeux violents » incluent beaucoup de jeux majeurs dont les circuits compétitifs sont considérés « Tier 1 », c’est à dire qu’ils sont plus prestigieux, apportent plus de légitimité. L’Arabie saoudite n’accueille pas ces événements par pur plaisir. C’est bien entendu une opportunité de plus de faire du sportswashing, utiliser le sport pour redorer le blason d’une nation taché par divers scandales.
L’Arabie saoudite, acteur majeur de l’esportswashing
Dans le cas de l’Arabie saoudite, l’objectif est double : d’une part développer une domination culturelle afin de réduire sa dépendance au pétrole, de l’autre, utiliser la publicité de ces événements pour mettre leurs politiques portant atteinte aux Droits de l’Homme au second plan.
C’est une technique qui paie. Si, lors de la première édition de l’EWC l’année dernière, de nombreux acteurs avaient accueilli l’événement très tièdement, force est de constater que l’argent saoudien a séduit plus de monde lors de l’édition de cette année. En plus, l’Esports Nations Cup aura une force que l’EWC n’a pas : bien qu’il y ait des projets, des annonces déjà réalisées, pour beaucoup l’idée d’une compétition mondiale d’Esport sur les jeux les plus importants faisant appel à l’ancrage géographique plutôt qu’aux différents clubs était un fantasme.
L’événement sera forcément mieux accueilli : il n’y a pas plus grande force qu’un ancrage géographique. Les supporters ne choisissent pas les joueurs ou sportifs qu’ils soutiennent uniquement pour leurs performances, il les choisissent aussi pour la proximité qu’ils peuvent ressentir avec eux, c’est encore plus vrai pour l’esport, ou l’aspect très jeune de la discipline ne permet qu’à peu de clubs de se démarquer par leur histoire.
C’est bien pour ça que les clubs les plus populaires, ce sont déjà des clubs d’influenceurs. Le public se sent proche de leurs influenceurs préférés. En faisant une compétition prenant en compte l’ancrage géographique, c’est avancer encore d’un cran. On a peut-être une attache sentimentale à Squeezie ou Kameto si on les suit déjà, mais l’idée de suivre une équipe de France sera toujours plus forte car il y a de fait bien plus de gens investis dans l’idée de leur pays, de leur chez-eux.
C’est peut-être pour cet engagement, en plus de l’argent saoudien, que certains éditeurs sont prêts à prendre le pari, malgré des calendriers compétitifs déjà pleins à craquer. De nombreux jeux sont attendus à l’événement, le public lance déjà les paris sur les joueurs qui seront potentiellement inclus dans les équipes françaises.
Il est déjà difficile de s’engager dans cet écosystème en souhaitant garder un minimum d’éthique. Si les jeux de Riot en sont encore relativement épargnés, la majorité des sponsors de jeux comme Counter Strike sont déjà des acteurs à la limite de la légalité, comme Kick, parfois interdits en France, comme Stake ou d’autres casinos en ligne. Il est pratiquement impossible pour un club souhaitant conserver une ligne humaniste d’aligner des équipes compétitives sur ces jeux tant le prix des joueurs gonfle à cause de ces sponsors.
Avec l’arrivée durable de l’Arabie saoudite parmi les acteurs majeurs de la discipline, on ne peut que s’inquiéter de l’avenir. L’esport a cruellement besoin de financement, l’écosystème de League of Legends, pourtant l’un des jeux Tier 1 les plus populaires, avec des joueurs superstars, n’est pas rentable en se privant de ces sponsors. Face à cette situation, il est facile pour une institution, qui a déjà réussi à se mettre des sports largement plus populaires dans la poche, de prendre une place de premier plan dans une industrie aussi fragile.