C’est à reculons que nous avons saisi notre manette pour jouer à ce Skull and Bones. Les rumeurs se multipliant, les critiques acerbes allant bon train, le dernier projet du géant Ubisoft faisait les frais d’une communication difficile. Nous devons déclarer d’emblée que nous n’avons jamais mis la main sur Sea of Thieves, ni même, incroyable mais vrai, sur Assassin’s Creed IV Black Flag. Nous nous présentons donc à vous, chers lecteurs, blancs comme neige en matière de flibusterie, mais aussi d’éléments de comparaison hasardeux.
Difficile aussi de parler du jeu sans mentionner son long développement, dix années infernales de développement pour différents studios, toujours au sein d’Ubisoft. Si l’empire Ubisoft n’aura pas chômé, il serait naïf de croire que la durée est seulement due à un contenu hors du commun, un contenu AAAA. Non, le manque d’unité et de cohérence aura bel et bien fait perdre en vélocité au projet et comme ce vent de face auquel vous serez souvent confronté dans le jeu, les éléments n’auront pas été tendres avec le paquebot Ubisoft.
Sans élément de comparaison concret et sans ambage, nous pourrons donc entrer directement dans le cœur du sujet et parler des manques du jeu, de ses nombreuses faiblesses, mais aussi des quelques éléments qui rehaussent le pavillon noir. Nous pourrions revenir sur la sortie d’Yves Guillemot, déjà commentée ici et là, qui le qualifiait de AAAA qui réserverait bon nombre de surprises par la suite. Alors ? Est-ce que Skull and Bones en a dans la soute et est-ce que les propos du CEO d’Ubisoft sont plausibles ?
(Test de Skull and Bones réalisé sur PS5 à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Une narration anecdotique
Si vous cherchiez en ces lieux une histoire forte et des narratifs originaux, c’est raté. Il faut savoir que Skull and Bones est un looter shooter, un jeu qui ne prend pas son temps pour installer son cadre ni pour présenter des personnages complexes et profonds. Non, vous aurez ici en guise d’introduction une bataille navale d’une mollesse assez rare qui servira à planter le décor et à justifier votre déchéance dans l’échelle sociale des pirates.
La sauce ne prend pas vraiment, la faute à un rythme assez distendu lors des premiers combats et des personnages balancés beaucoup trop vite comme étant vos prochains sous-fifres. Brillants de vacuité, vous oublierez vite les deux troublions qui vous sauvent la vie dans les premières minutes du jeu, à l’instar de tous les autres personnages de l’histoire qui sont généralement des personnages fonctions sur jambe de bois. On vous parlera parfois d’ennemi à abattre que vous ne verrez jamais, vous n’abattrez en définitive que leur bateau.
Car oui, dans Skull and Bones, les personnages ne font pas réellement partie du jeu, tout du moins pas du gameplay à proprement parler. D’ailleurs, votre héros n’est pas vraiment là non plus. Vous êtes avant tout un bateau.
Vous arpentez les mers dans un bateau, vous mangez sur votre bateau, vous vous orientez sur votre bateau, vous récoltez même des matériaux, pourtant sur la côte, depuis votre bateau, vous coulez d’autres bateaux, etc. Les courtes phases sur terre sont en fait toujours des zones totalement sûres, des zones HUB où vous irez récolter les prochaines quêtes sur un tableau de quêtes, vendre vos items prenant le sel marin de vos soutes et parlerez aux différents PNJs pour faire avancer l’intrigue.
Sauce RPG et émincé de drapeau noir
On le sait, le genre roi de ces dernières années est le RPG. Ubisoft l’a bien compris, car il saupoudre de RPG tous ses plats, mêmes les plus réchauffés (la saga Assassin’s Creed en est un exemple) et Skull and Bones n’échappe pas à la règle. Bien que vous n’aurez pas de niveau de personnage, vous aurez toutefois une jauge de réputation qui aura exactement la même fonction.
Comme il est impossible de s’équiper de cette magnifique armure de plaques ou d’arborer cette épée puisque vous n’êtes pas niveau 15, il vous sera impossible de construire ce bateau qui multiplierait vos chances de survie par quatre, car vous n’êtes pas flibustier ou boucanier (comprendre niveau 4 ou 5 en définitive).
Pareil pour ces canons ou bien cette coque en acier trempée, vous pourriez rapporter plus d’or avec ces améliorations, mais le jeu vous interdit toute évolution trop rapide. Et c’est là qu’on voit déjà le phénomène de rétention tendre ses filets au détriment de toute logique. Car la dimension RPG ne fait pas vraiment sens dans le monde des pirates où la fourberie et l’astuce sont bien plus raccord que l’effort et le travail (le farming d’expérience ou de ressource étant inhérent au RPG).
Comme tout RPG Ubisoft, le jeu est en monde ouvert et possède des zones compartimentées. Certaines zones sont libres d’accès, mais les navires s’y trouvant sont d’un niveau bien supérieur. Cette supériorité a diverses formes, une barre de vie beaucoup trop grande pour vos petits canons, une vitesse vous rendant la fuite impossible et des boulets arrachant votre pont en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire.
Même si l’on reconnaît qu’une boutre ne pourra pas venir à bout d’un galion, le jeu ne laisse aucune chance au « skill » de s’exprimer. Il vous faudra une jauge de DPS bien remplie pour avancer plus loin, aucune discussion n’est possible.
Autre élément étrange du jeu : les discussions, encore ici mises sous l’angle du RPG, le choix dans les dialogues. Ces choix sont généralement des incontournables du genre, car il permettent d’endosser un certain rôle. Ici, les résultats sont totalement indifférents. La seule différence sera la phrase suivant votre « intervention » qui sera faite en fonction de votre « choix » (de plus, vous n’aurez que deux réponses possibles la plupart du temps).
Dès lors, on s’interroge. Quel intérêt et quelle utilité d’avoir implémenté cette facette qui représente un temps de doublage plus conséquent, plus de temps d’écriture, bref plus d’argent dépensé pour un résultat inexistant ?
Nous n’avons pas vraiment de réponse à l’heure actuelle si ce n’est enfoncer une porte ouverte : le manque de cohésion pendant le développement. Travailler à plusieurs dizaines sur un projet est déjà compliqué, que se passe-t-il alors lorsque l’on change ces dizaines de personnes tous les six mois ? Si l’on ne récolte que des incohérences, on peut déjà s’estimer chanceux.
Un gameplay qui manque de sel
Avec un début surprenant, on ne parle pas des combats navals, mais bien de l’après, lorsque vous n’êtes armé que d’un harpon de fortune en vue subjective, Skull and Bones change du classique combat de canons. Le jeu rentre cependant très vite dans le moule (là encore la faute à un manque d’unité dans la proposition ?), en vous faisant capitaine d’un bateau très rapidement.
Il conviendra de doter votre navire de canons, vous aurez toutefois la possibilité de les placer où bon vous semble, à tribord, sur la proue, etc. Si la personnalisation reste limitée, les armes se diversifieront avec des gameplay différents : portée différente, tir en cloche, dégâts de feu, de perforation… Même si l’approche dans son ensemble reste la même, quelques éléments viennent donc garnir les combats d’une spécialisation bienvenue.
Au niveau de la navigation, le jeu fait le minimum, mais il le fait bien. Vous devrez toujours naviguer avec le vent en poupe pour maximiser la vitesse de vos déplacements et éviter les vents de face. Cette navigation certes rudimentaire reste bienvenue et prend tout son intérêt dans les combats navals où il est possible d’éviter les boulets ennemis lorsque vous avez la vitesse suffisante. Le fait d’avoir un navire rempli à ras bord vous empêchera également de manœuvrer efficacement, vous forçant à faire le choix entre récolte des ressources et retour en ville.
La vitesse se résumera à trois niveaux que vous pourrez baisser ou augmenter à n’importe quel moment. Le troisième niveau s’apparente en définitive à une jauge de sprint (oui, vous avez bien lu), et pourra être remplie en laissant votre équipage manger un plat ou en carguant les voiles.
Bien qu’on ne saisisse pas trop comment un équipage puisse s’épuiser sur un voilier en moins de trente secondes, les arcanes du monde nautique nous sont étrangers, nous l’avouons, on comprend cette mécanique limitante bien que pas forcément très bien re-transposée ici.
Avec des effets visuels météo très réussis, le jeu permet de s’évader quelques courts instants, mais les distances parfois très longues viennent souvent plomber ces quelques moments d’égarements où le rêve s’invite.
D’autant plus que le jeu ne sera pas avare en matière de déplacements. Les quêtes vous infligeront souvent de longs moments de navigation qui deviennent vite pénibles. Votre équipage meublera tant bien que mal ces moments de vide avec des exclamations constantes ou des chansons de marins arrivant parfois mal à propos.
Quelques bonnes idées comme l’inspection avec la longue-vue dans la vigie des navires ou bien la direction du vent permettent une immersion pour la navigation. Cette immersion s’arrêtera toutefois à la navigation et ne s’invitera pas dans les combats.
En effet, les points faibles des bateaux (un halo rouge puissant les illumine) vous permettront de faire plus de dégâts si vous parvenez à les toucher, mais il sera impossible d’immobiliser le navire en arrachant son mât ou bien encore de l’empêcher de tirer en ravageant sa ligne de canon par exemple.
Si vous vous posez la question « est-ce que Skull and Bones est un jeu qui vaut son prix », la réponse est non. La tentative d’Ubisoft de faire passer la couleuvre du prix avec l’argument du AAAA est au mieux maladroite et au pire malhonnête.
Vendre un jeu GaaS avec un prix d’entrée aussi élevé relève du tour de passe-passe et d’une vision basée sur le court terme. Et c’est mal comprendre l’identité d’un GaaS, car la force véritable de Skull and Bones semble résider sur le long terme avec ses événements saisonniers et l’ajout de contenu. Une communication assez paradoxale, donc.
Comble de son malheur, Skull and Bones sort peu de temps après d’autres jeux comme Palworld ou Helldivers II, des jeux-services comme lui, avec des prix d’entrée beaucoup moins rebutants et qui réussissent bien mieux leurs premiers jours de lancement. Si c’est toutefois dans la durée que l’on constate si un jeu service a les épaules pour perdurer, Skull and Bones n’aura quant à lui pas la possibilité de bénéficier du vent de poupe des jeux cités. Le projet semble donc clairement boire la tasse, sauf que… Après s’être accroché durablement sur le radeau de la Méduse Skull and Bones, le jeu semble être prometteur en contenus et en aventures.
Bien moins vide qu’un Starfield, même dans les incessants allers-retours des quêtes Fedex, le jeu offre un vrai setting de jeu de pirates et on se surprend à aimer cette navigation somme toute assez rudimentaire et ne faire qu’un avec son bateau au gré des vents et marées.
Il est vrai que certains jeux profitent d’une renaissance après un lancement décevant : No Man’s Sky, Cyberpunk 2077 ou encore Sea of Thieves, exemple le plus adéquat. Si c’est un travail de longue haleine qui est nécessaire pour revenir de très loin, il est toujours possible de calfeutrer les fuites de la coque. Bien que nous ne soyons pas du genre à prendre des vessies pour des lanternes (déso pas déso Yves), nous resterons attentifs à son évolution.
Si nous devions résumer Skull and Bones en une phrase : il s’agit d’un The Division avec des bateaux de pirates. Les gros sabots du jeu-service sont là, c’est certain. On est aussi en zone connue avec un jeu estampillé Ubisoft : carte chargée d’icônes (on est toutefois loin d’un Unity), un monde ouvert pensé en RPG, bref, une recette qui commence à ronronner.
En définitive, ce qui aura le plus joué contre Skull and Bones, c’est une communication peu claire sur l’identité du jeu et aussi peut-être un acharnement injuste. S’il était déjà de bon ton de moquer Suicide Squad, Skull and Bones endosse aussi le rôle de pinata malgré lui.
Comme nous l’avions déjà dit dans nos lignes, Suicide Squad: Kill the Justice League n’est pas un bon jeu, mais il est loin d’être le jeu-service le plus mauvais de l’industrie. Même si la qualité technique de Skull & Bones joue moins en faveur de celui-ci, on est obligé de reconnaître que les achats intégrés sont loin d’être le summum du cynisme et de la vénalité vidéoludique. Nous terminons donc ce test la longue-vue dirigée vers l’horizon, en attendant, ayez le pied ferme moussaillon ! Les remous médiatiques sont rudes par les temps qui courent !