Si le fast FPS AAA a retrouvé des couleurs ces dernières années grâce notamment à ID Software et ses deux DOOM, la scène indépendante reste tout de même en pointe lorsqu’il s’agit de nous pondre de bons gros shooters bourrins nous renvoyant au début des années 90. Prodeus, financé majoritairement via une campagne Kickstarter, en fait partie.
Le titre est développé par le studio Bounding Box Software Inc. fondé par Mike Voeller et Jason Mojica, tous deux anciens employés de grosses majors. Leur souhait est avant tout de flatter la nostalgie des joueurs de FPS en manque d’action intensive. C’est un hommage appuyé aux DOOM d’antan et autres Duke Nukem, Quake ou encore Unreal.
Attention néanmoins, si la démarche peut paraître totalement mercantile, il n’en est rien. On a affaire à deux passionnés qui mettent dans ce projet toutes leurs tripes, en faisant participer aussi la communauté qui s’est formée autour du jeu, sans arrêt encouragée à donner son avis. Elle est souvent entendue, notamment sur un Discord très actif, et participe de ce fait activement au développement de Prodeus.
Le jeu venant d’entrer en early access, il est donc temps pour nous de rendre un premier verdict sur cet objet vidéoludique qui transpire le sang et sent bon la poudre à canon.
(Test de Prodeus sur PC réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Oubliez le scénario, il n’y en a pas ou si peu. Prodeus est le fast FPS dans son plus simple appareil, des démons débarquent, on prend les armes et on leur explose la caboche, ni plus ni moins.
À noter qu’il n’y a aucune espèce de narration, quelle qu’elle soit. Ni cut-scenes, ni dialogues, ni fichiers audio ou écrits que l’on trouverait sur le terrain, rien, nada, hormis peut-être une brève description des niveaux que l’on accomplit sur la map du jeu.
De manière très brève, on nous décrit le lieu et quelle a été sa fonction. En général, cela tourne autour d’expériences sur d’étranges runes qui semblent être la base de tout le foutoir qui se met joliment en place sous nos yeux.
Prodeus, c’est une science du gameplay, du level design et du défouloir plus qu’un jeu qui tente de raconter quelque chose. Il le fait cependant, mais d’une façon beaucoup plus graphique qu’à l’accoutumée, et l’histoire qu’il nous conte ne lui est pas singulière, mais est celle du jeu vidéo et du FPS lorsqu’il n’était alors qu’un défouloir bourrin, jouissif et terriblement addictif.
Il est la représentation d’un temps ridé qui n’existe que dans nos souvenirs et qui souhaitait juste nous divertir en nous proposant d’exploser de gros tas de pixels grotesques. Et en cela, ce qu’il propose est loin, très loin de décevoir.
Je vois des gerbes de pixels morts
Prodeus affiche un habillage graphique frôlant le magnifique de par une utilisation impeccable du pixel art. Il n’y a quasiment aucune fausse note, aucune faute de goût, et il nous renvoie là encore à cette période bénie des sprites 2D, des basses résolutions et des animations saccadées.
Bien sûr, tout cela est simulé et le moteur est bien plus costaud qu’on ne pourrait le penser de prime abord, en témoignent des jeux de lumière convaincants, des effets spéciaux en veux-tu en voilà, ainsi qu’une fluidité à toute épreuve. C’est vif, intense, stable, et ce, peu importe le nombre d’ennemis à l’écran ou la quantité d’hémoglobine qui gicle dans tous les sens. Gore, Prodeus l’est, alors âmes sensibles s’abstenir.
La patte artistique est incroyablement bluffante et si on frôle parfois le copier-coller d’époque, avec un design des créatures proche de celui de celles de DOOM, comme certaines pétoires d’ailleurs, c’est toujours fait avec un grand respect et un amour indéfectible de l’œuvre de John Carmack et consort. Mais ne vous y trompez pas, si dans un premier temps le titre se donne des airs de copie, cela ne dure réellement que le temps de la mise en jambe.
Très vite, le jeu trouve sa propre identité visuelle. Si les couleurs sont un décalque de celles que l’on avait au siècle dernier, très simples, aussi afin de nous orienter – on retrouve d’ailleurs la dualité du gris représentant l’Homme et le rouge, les Enfers –, le style artistique trouve très vite ses propres marques. On n’est pas dans le grandiose certes, ou à de rares moments, mais c’est suffisamment recherché pour qu’il s’émancipe de l’hommage et devienne un objet unique.
On peut aussi en faire le constat en ce qui concerne la musique qui possède bien quelques tracks métal, mais aussi beaucoup d’autres plus électro ou synthwave, apportant alors un côté un brin plus fantastique au jeu. Globalement, la B.O. est un bonheur auditif, tout comme le sound design en général. Par ailleurs, autre chose originale, les différents niveaux se rejoignent via une sorte de mappemonde qui nous permet aussi d’en débloquer d’autres, spéciaux, nous proposant d’accomplir des défis.
Par contre, on ne va pas se le cacher, le level design est, lui, totalement issu du début des années 90, nous faisant arpenter de vastes niveaux labyrinthiques, blindés de secrets, dans lesquels on évolue en flinguant du démon et en trouvant des cartes d’accès de différentes couleurs. Cela ne veut pas dire néanmoins que le jeu ne possède pas ses propres gimmicks, avec quelques séquences qui lui sont propres et pour la plupart réussies.
Cette vision du FPS à l’ancienne est en totale adéquation avec ce qu’est Prodeus même et ce qu’il représente, d’autant plus qu’au contraire d’autres entrées dans le genre, on ne se perd pas, car c’est suffisamment bien fait pour que l’on s’y retrouve, la map aidant aussi. Les différents niveaux durent tous environ quinze minutes, ce qui est largement suffisant et ne les rend ni trop grands, ni trop petits.
Les développeurs ont réussi une chose rare, allier ce level design à l’ancienne avec une progression un chouïa plus linéaire et balisée. Un équilibre parfait en somme qui rend l’exploration organique et prenante.
L’hémoglobine coule à flots
Véritable force du fast FPS, on retrouve en Prodeus cette essence de feu qui nous donnait des parties endiablées à l’époque. Des mouvements rapides, des armes pêchues à l’impact incroyablement bien rendu, des monstres par dizaines qui nous en mettent plein la tronche et un level design arène/couloir parfait pour le genre d’exercices qui nous attend.
On retrouve un feeling old school bien gore et intense parfaitement huilé qui se voit en plus apporter quelques petits ajustements modernes bienvenus. Toutes les armes, qui vont du pistolet au shotgun en passant par le lance-roquette, le minigun ou encore le fusil à plasma, possèdent un tir secondaire. Chose typique des fast FPS d’aujourd’hui, ça l’était beaucoup moins auparavant. Aussi, le jeu propose de réels casse-têtes imbriqués dans la progression parfois, se servant d’astuces de gameplay simple ou de son côté légèrement plateformer pour nous mettre à l’épreuve.
Le fait de pouvoir sauter est loin d’être anodin et est à la fois une aide précieuse en combat pour se sortir de situations parfois tendues, ou tout simplement pour avancer et trouver son chemin, et même quelques secrets. D’ailleurs, si notre « Prodeusguy » avance déjà bien vite de base, on peut aussi courir. Ce qui n’a aucun impact sur nos capacités de combat, car il n’y a pas d’animations attitrées à la course, on se bouge le train arrière juste plus vite, ce qui nous permet toujours de tirer comme un dingue ou de sauter plus loin.
Tout n’est pas parfait non plus. Une petite glissade pour dynamiser encore plus le tout ou encore la possibilité offerte au joueur d’assener un coup au corps à corps sans devoir en passer par le changement d’armes et « équiper » les poings font ainsi défaut. Le raccourci pour choisir ses armes est peu intuitif et les séquences de plateformes manquent de justesse. Il y a donc encore quelques axes d’améliorations possibles.
Par ailleurs, comme tout fast FPS qui se respecte, Prodeus est une battle de danse que l’on mène contre nos opposants. Les affrontements, souvent de moyenne à grande envergure, nous obligent à rester constamment en mouvement, à prendre des décisions éclairs, à switcher d’armes continuellement et à prendre possession du champ de bataille pour le faire nôtre. Il faut repérer munitions, armures et vies représentées par les traditionnels sprites 2D qui vont avec pour utiliser les lieux à notre avantage. En cela, le jeu est prodigieusement pensé et réussit à proposer des gunfight à la fois d’un dynamisme extrême et d’une grande intelligence.
Cependant, l’hommage a des limites. Le FPS de Bounding Box ne réinvente rien ni même ne prend des risques. Ce qu’il est, beaucoup le sont, ce qu’il fait, beaucoup le font, peut-être pas avec autant de qualités, mais le constat est clair. La progression via des cartes de couleur en est le parfait exemple : même s’il y a une once d’audace parfois, on aurait aimé peut-être que le jeu se détache un peu plus de ses (et surtout son) modèles pour proposer de l’inédit, du vrai.
Map contest
Prodeus apporte tout de même pas mal au genre, un retour aux sources parfaitement exécuté déjà, et aussi quelques nouvelles pétoires sympatoches ou autres créatures aux designs plus que stylés. Mais surtout, il s’accompagne d’un éditeur de map complet et facile de prise en main, même si demandant tout de même quelques heures d’expérimentations avant d’arriver à pondre un truc convenable.
Le fait est que les cartes créées par la communauté sont pour la plupart vraiment bonnes et l’outil permet de lui laisser suffisamment de possibilités pour qu’elle puisse s’exprimer librement. Entre les remakes de cartes de DOOM ou Quake et d’autres originales, il y a de quoi faire. Un classement entre les joueurs est même disponible pour chacune, ce qui apporte un petit côté compétitif sur lequel on ne crache aucunement.
Ce passage par la case multijoueur (c’est comme ça que cela est présenté) est un impératif, tant il prolonge l’expérience de la meilleure des façons qui soit, en faisant participer les joueurs. D’autant plus que l’éditeur est sans cesse retouché et amélioré par les développeurs qui continuent aussi d’apporter des features discutées avec les joueurs dans sa campagne principale dont nous n’avons vu que six heures environ, vu que Prodeus est encore en early access.
Ce fut néanmoins suffisant pour se forger un bon avis sur ce parfait petit fast FPS qui tape d’un grand coup de savate dans les burnes du genre et prend place aux côtés des plus grands.
Véritable hommage assumé à DOOM et autres fast FPS (ou DOOM-like) des années 90, Prodeus est une merveille de réalisation, à la patte artistique soignée et au gameplay jouissif. Bounding Box nous livre ici le souvenir d’une époque de plaisir sans prise de tête qui nous manquait tant, tout en apportant aussi quelques nouveautés peu communes pour le genre en fin de siècle dernier. On lui reconnaîtra tout de même une certaine paresse, le jeu se contentant de réciter ses gammes, mais le fait tellement bien que c’est très vite oublié.
C’est fluide, beau, grisant, exigeant dans les plus hauts niveaux de difficulté et cela crée une vraie dépendance. Une fois lancé, il est dur de s’arrêter et nos boucheries s’enchaînent oubliant le temps qui passe. Le gros plus est sans aucun doute l’éditeur de map, réellement plus-value de l’expérience tant la communauté est engagée dans le projet et crée des cartes de qualité.
Si vous cherchez un petit fast FPS à l’ancienne qui en a sous le capot, eh bien, vous avez trouvé. Prodeus est un must-have qui fera date dans le genre.