Certains studios se spécialisent parfois dans un genre de jeu très particulier, que l’on songe à Paradox Interactive, Creative Assembly, ou encore les français Arkane et Spiders. Il est assez normal de conserver une formule éprouvée, de miser sur un retour d’expérience, et de l’améliorer au gré des productions ultérieures. Mais, ce faisant, on s’expose au risque de tourner en rond et de stagner dans un modèle qui n’offre pas grand-chose de nouveau d’un jeu à l’autre.
Le studio suédois The Bearded Ladies se rapproche dangereusement de cette situation, avec son dernier jeu, Miasma Chronicles, qui s’inscrit dans leur sacrosainte lignée de jeux tactiques au tour par tour dans un monde post-apocalyptique. Si le jeu offre une aventure qui tient la route, propose des combats exigeants et des personnages sympathiques, les faiblesses de l’écriture abîment substantiellement l’aventure.
(Test de Miasma Chronicles réalisée sur PC via une copie fournie par l’éditeur)
Un monde intéressant, desservi par une histoire stéréotypée
Miasma Chronicles, c’est essentiellement l’histoire d’un adolescent, Elvis, qui est à la recherche de sa mère, une ancienne héroïne de la ville ouvrière de Perma (Sedentary, dans la version anglaise). Il a hérité d’elle un gant mécanique qui lui permet d’interagir avec le miasme, substance mystérieuse qui a conduit au génocide d’une partie du monde et corrompu la nature. Dans sa quête, il est accompagné de Diggs, un robot minier sympathique qui revêt la figure d’un grand frère protecteur, puis de Jade, une adolescente torturée. Voilà donc notre postulat de départ. Allons droit au but : l’histoire du jeu est assez convenue (sans doute trop), mais suffira sans doute à la majorité des joueurs qui seraient essentiellement intéressés par les combats ou l’atmosphère particulière du jeu, et ne verraient en la narration qu’un fil rouge menant d’un combat à l’autre.
Ce monde dévasté, justement, est un point fort du titre. Il se dresse face au joueur avec ses visuels très travaillés, son ambiance de dévastation subite, de retour en force d’une nature quelque peu pervertie. De fait, nous avons là une nouvelle représentation d’un futur post-apocalyptique de la part du studio nordique, qui, après nous avoir fait visiter une faune maîtresse du monde dans Mutant Year Zero: Road to Eden, nous présente cette fois un environnement plus urbain et dystopique, où le miasme, entité inconnue, tue et déforme tout sur son passage.
Ce qui permet de nous montrer d’assez jolies mises en scène, comme ce bâtiment rempli de bureaux et d’employés, ravagé par le miasme il y a plusieurs années, dans lequel vous pouvez croiser des cadavres noircis toujours assis autour d’une table de réunion, ou d’autres, encore, figés dans leur mort après avoir tenté de sauter par une fenêtre, l’autoroute détruite avec des voitures qui ont manifestement essayé d’éviter quelque chose, ou encore la végétation étrange qui recouvre une zone à explorer. Les environnements racontent des histoires à eux seuls, et on prend du plaisir à les visiter et les parcourir.
Mais la présentation du monde et des personnages au début du jeu est plus que perfectible. Et on en arrive au problème général de la narration que l’on prend en pleine figure juste après avoir cliqué sur « Commencer l’histoire ». En quelques dizaines de secondes, après l’introduction, vous vous retrouvez avec Elvis et Diggs face à un mur de miasme, échouant à l’ouvrir, et parlant à voix haute de qui ils sont, ce qu’ils font, et pourquoi cela ne marche toujours pas, avec une fausse surprise de la part de personnages qui, supposément, survivent dans ce monde depuis des années. Certes, la formule fonctionne, on comprend à qui l’on a affaire, mais au détriment d’une narration qui aurait pu être plus subtile et immersive.
Et, hélas, ce n’est pas propre au début du jeu. Toute l’aventure est jalonnée de dialogues étranges et d’une exposition du monde qui n’a rien de naturel ou de progressif. Ainsi, vous rencontrez assez rapidement la troisième membre de votre groupe que vos personnages ne connaissent pas, mais les dialogues entre les trois aventuriers démontrent un attachement et une confiance incompréhensibles envers une parfaite inconnue, et réciproquement. Et ce problème n’est pas propre à nos héros, car tous les personnages du jeu sont pris d’une « narrationnite » aigüe et éprouvent le besoin de nous dire directement qui ils sont et ce qu’ils font, juste après leur avoir dit un petit bonjour.
Nous entrons ici dans un jugement purement et totalement subjectif, mais pour notre part, nous sommes quelque peu lassés d’avoir un adolescent en protagoniste, qui se trouve être l’élu du monde dans lequel il vit, car il possède X pouvoir ou Y objet magique qui le rend incontournable au point où les adultes s’effacent face à ses actes et opinions, ou viennent lui demander des conseils avisés.
Bien sûr, il faut s’ouvrir à tous les publics, et Elvis, en soi, est attachant et sympathique, mais en matière d’immersion, de sérieux et de mise en avant d’un monde post-apocalyptique avec des thèmes comme la misère ouvrière, l’exploitation des robots et le thème de la religiosité dans un monde post-civilisation, cela ne permet pas d’aller plus loin sur ces sujets intéressants autrement qu’en les évoquant très superficiellement. Et, de fait, la tonalité oscille assez souvent entre la légèreté des personnages, qui y vont de leurs petites blagues à la moindre occasion, et la mise en scène triste, tragique, et morbide du monde.
Des combats exigeants et punitifs
Venons-en aux combats, véritable squelette de Miasma Chronicles. Comme nous l’avons déjà précisé, il s’agit d’un jeu tactique au tour par tour, dans la droite lignée de ce à quoi le studio nous a déjà habitués. Très semblable à des titres des séries XCOM ou Wasteland, il vous faut aborder les combats avec finesse et anticipation. En difficulté normale, les combats sont par ailleurs assez durs, et il vous faudra sans doute les réessayer plusieurs fois pour bien comprendre où placer vos personnages avant de lancer les hostilités. Ou bien ravaler votre amour-propre et passer en difficulté « Narration ». Cependant, les combats restent assez plaisants dans leur déroulé, et le zoom sur les actions de tir, à la manière des XCOM, renforce, de manière bienvenue, l’immersion.
Cependant, tout n’est pas parfait. Les combats de Miasma Chronicles sont vraiment difficiles, du fait d’ennemis qui bénéficient d’une meilleure précision que vos personnages, ou possèdent des capacités extrêmement pénibles (pensée émue à un certain type d’adversaire qui peut vous voler vos précieux médipods en mêlée), mais aussi à cause de décisions de game design assez étranges. Par exemple, pour vous soigner entre deux combats, vous n’avez accès qu’aux medipods, un consommable assez cher à aller acheter sans cesse à Perma. Nul repos ou feu de camp pour regagner vos précieux points de vie après avoir gagné un affrontement in extremis. En conséquence, une bonne partie de votre butin part dans l’achat de ces consommables incontournables plutôt que dans l’acquisition d’armes.
La ligne de vue des ennemis est également parfois étrange, surtout si vous vous tenez en hauteur, sur un toit par exemple, et qu’un ennemi est en contre-bas : il est parfois capable de vous mettre en joue et de vous toucher, même si vous êtes au milieu du toit et qu’il ne peut, logiquement, vous voir, et encore moins vous atteindre avec un tir. Ce n’est pas un problème fréquent, mais ça peut arriver, et lorsque cela a un impact sur l’issue du combat, c’est plus que frustrant.
En dépit de ces problèmes (qui n’en seront pas forcément pour ceux qui aiment « try hard »), un personnage particulier, Jade, vous facilitera considérablement la tâche. Grâce à son fusil de sniper muni d’un silencieux, elle est capable de neutraliser certains ennemis esseulés, avant de déclencher un combat, au prix de longs contournements en mode furtif et autres lancers de bouteilles pour éloigner des adversaires. C’est une étape assez cruciale, car les ennemis peuvent être nombreux, et certains en particulier peuvent se montrer pénibles par leur capacité à pouvoir se déplacer sur de nombreuses cases en un seul tour, et d’enchaîner avec une attaque de mêlée qui peut vous retirer la moitié des points de vie d’un personnage. Pas besoin d’élaborer : si vous en avez deux qui arrivent sur l’un des membres de votre groupe, en un tour, il peut être neutralisé.
Pour y pallier, vous pouvez compter sur certaines capacités spéciales uniques des personnages. Elvis, par exemple, peut se mettre en « Tir de surveillance » (le bien connu Overwatch) et ainsi couvrir une zone délimitée. C’est-à-dire que, lorsque c’est au tour de l’ennemi et qu’il avance dans cette zone, Elvis va pouvoir lui tirer dessus automatiquement en dehors de votre propre tour de jeu. En avançant dans le jeu, il débloquera également des pouvoirs liés à la manipulation du miasme qui permet de faire léviter un ennemi et l’envoyer sur des tonneaux explosifs, ou bien faire une électrocution en chaîne. Diggs, quant à lui, est davantage le tank du groupe, et peut littéralement agir comme une couverture une fois que vous aurez débloqué la capacité, ou même aller plaquer des adversaires au sol. Quant à Jade, elle est incontournable, non seulement pour la raison développée plus haut, mais aussi parce qu’elle vous offre une capacité de dégâts élémentaires et une tourelle.
De la politisation absurde des critiques anglo-saxonnes
Il est important de revenir sur cet aspect des choses qu’est l’acte de critiquer et d’évaluer un jeu. Car la presse anglo-saxonne étrille l’un des personnages : Diggs. Le robot protecteur, grand frère, personnage bon vivant à la bonne répartie, qui est doublé par un acteur noir. Il est présenté par Caelyn Ellis, d’Eurogamer.net, comme un stéréotype raciste du fait d’avoir un accent afro-américain, d’être le membre un peu stupide de l’équipe (ce qui est faux : dans le jeu, il est traité d’idiot par le maire, parce que robot, et dans les dialogues de l’aventure, il est plus prudent et lucide qu’Elvis), et, qu’étant un robot minier, l’autrice estime que ce n’est pas un hasard si le seul héros noir de l’aventure est lié de près ou de loin à une forme d’esclavagisme :
« Il s’agit du stéréotype le plus raciste d’un personnage de jeu vidéo que j’ai rencontré depuis des années et ce n’est tout simplement pas acceptable. Un personnage noir qui est plus fort, mais moins intelligent que son homologue blanc, qui a été élevé d’une classe d’esclaves afin de prendre des balles pour le sauveur blanc, qui le flatte et le loue constamment, sans s’attribuer le mérite des actions héroïques dont il est également responsable. »
On note au passage un mensonge supplémentaire : dans Miasma Chronicles, lors d’absolument tous les combats, Elvis loue Diggs quand ce dernier élimine un adversaire. Si encore de telles critiques prenaient appui sur une véritable discrimination présente dans le jeu, il pourrait y avoir un débat légitime, mais un article journalistique, bâti sur autant d’affabulations, dépourvu de la moindre éthique, ne peut que causer du tort aux lecteurs, aux développeurs, et à la presse spécialisée en général.
Jon Bailes, rédacteur pour RockPaperShotgun, dénonce un jeu qui ferait la part belle au fantasme du « sauveur blanc » qui se rend dans une communauté essentiellement noire pour les aider. Il parle ici de la ville de Perma, dont la moitié des personnages avec lesquels vous pouvez interagir sont noirs, et l’autre moitié blancs, ce qui est donc objectivement faux. Mais ces critiques négatives se retrouvent sur l’agrégateur Metacritic et diminuent la note finale du jeu, qui est désormais assez basse.
Il est incompréhensible que de telles positions militantes (et racistes, car leurs opinions sont fondées sur la couleur de peau des uns et des autres, alors même que ça n’a aucune importance dans le jeu) aient une quelconque influence sur la critique d’un jeu pour ce qu’il est, et il est scandaleux de déformer des propos tenus dans le jeu, ou de dresser un mauvais portrait d’une situation, pour pouvoir y appliquer une grille de lecture militante et politique et s’en émouvoir.
Car la conséquence de ces mensonges, et d’une notation bien réelle en berne, vont impacter ceux qui ont travaillé sur le jeu, et produire une note finale qui peut induire en erreur ceux qui vont s’y référer sans lire les articles la constituant. Miasma Chronicles n’est pas exempt de critiques, loin de là, mais il peut se passer tout à fait de mensonges malveillants.
Miasma Chronicles est un jeu sympathique qui vous occupera pendant quelques semaines, mais sans doute pas davantage. Le monde est une réussite et parvient à proposer quelque chose d’intéressant en termes de lore, alors même que l’on frôle des visuels redondants et archétypes d’un monde post-apocalyptique dévasté. Il y a des petites touches ici et là qui donnent corps à ce monde, et lui donnent une identité singulière, sublimée par un art de la mise en scène certain.
La narration ne nous a certes pas convaincus, mais ce n’est pas là un jugement très objectif, car elle plaira sans doute à d’autres. La difficulté des combats éloigne clairement le titre d’un Wasteland, par exemple, et lui confèrerait presque la qualité d’un Souls-like. On regrette cependant que les grandes révélations que l’on attend de découvrir au cours de l’aventure soient peu mémorables, notamment celles autour de l’origine, ou de la nature, du fameux miasme.