Après The Finals, le FPS compétitif au stylé visuel déjanté, les Suédois d’Embark Studios reviennent avec ARC Raiders, un jeu dont l’ambition et la confiance de ses créateurs lui permettent de se positionner entre deux mastodontes : Battlefield 6 et Call of Duty: Black Ops 7. Les rares téméraires ou malchanceux (grosse pensée pour Titanfall 2) ayant tenté d’exister entre ces deux géants ont souvent fini relégués aux oubliettes. Pourtant, cette nouvelle itération du genre Extraction-Shooter — rebaptisé Extraction Adventure par Embark — avance de solides arguments en sa faveur. À tel point que, si le suivi et les correctifs tiennent le rythme, ARC Raiders pourrait bien s’imposer naturellement comme la nouvelle cible à abattre, y compris pour ses concurrents directs comme Marathon, dont Embark semble avoir étudié les erreurs pour peaufiner son projet et Escape From Tarkov, qui s’adresse à une communauté de niche attiré par la simulation et la complexité démesurée.
(Test de ARC Raiders réalisé sur PC à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Rust in Piece
ARC Raiders se déroule dans une région de l’Ancien Monde appelée la Ceinture de Rouille. Après une série de catastrophes naturelles, la société telle que nous la connaissions a disparu, dans ce que l’on nomme l’Effondrement. Les survivants se sont éparpillés : certains auraient réussi à s’exiler, on ne sait comment, dans l’espace, tandis que d’autres, ceux que l’on appellera plus tard les Raiders, se sont réfugiés sous terre à la suite d’un événement connu sous le nom de Seconde Vague. Cet événement marque le retour des machines autonomes d’origine inconnue, appelées ARC, pourtant vaincues lors de la Première Vague. Quelles sont-elles ? D’où viennent-elles ? Qui les a conçues ? Et surtout, comment ont-elles réussi à évoluer ? Tant de questions qui trouveront peu à peu des réponses au fil des quêtes que propose ARC Raiders, à mesure que vous progresserez, monterez en niveau et croiserez ces créatures mécaniques redoutables pour la première fois.
On touche ici à l’une des premières qualités du jeu : sa capacité à immerger le joueur et à susciter la curiosité. Que vous arpentiez le Champ de Bataille du Barrage, la Ville Enfouie, le Port Spatial ou le Portail Bleu (les quatre cartes actuellement disponibles) il y a toujours quelque chose à découvrir et à observer. L’environnement raconte une histoire à lui seul : les traces d’un passé oublié, les vestiges d’une civilisation effondrée. Certaines séries de quêtes vous gratifieront même de cinématiques soignées, dévoilant un peu plus les mystères de la Côte de Calabretta. Et pour les plus curieux, le Codex regorge d’informations détaillant les événements passés et actuels, apportant une couche supplémentaire de profondeur à cet univers.
Orange Mécanique
La première fois que vous foulerez le sable chaud du Champ de Bataille du Barrage, attendez-vous à un choc car la direction artistique frappe et sonne fort. Les équipes d’Embark Studios ont insufflé une âme à ce monde, une cohérence absolument organique. Avec ARC Raiders, le studio prouve qu’il maîtrise l’équilibre parfait entre technique et artistique. On l’avait senti venir, mais pas à ce point. Même après cinquante heures de jeu, le spectacle fascine toujours. Quatre cartes, c’est peu? Pas ici. Leur conception surpasse bien des productions concurrentes qui confondent richesse et confusion, qualité et profusion. Des dunes brûlantes de la Ville Enfouie aux falaises du Portail Bleu, jusqu’aux hangars oppressants du Port Spatial, chaque zone raconte une histoire. Aucun raid ne se ressemble. Et quand la nuit tombe, les règles changent.
Les mutateurs cycliques modifient tout : un mode nocturne qui renforce la qualité du butin mais réduit vos chances d’extraction. Mais aussi des tempêtes, de la pluie, du brouillard, des conditions qui redessinent de manière aléatoire (mais malheureusement non dynamique), le champ de bataille et votre manière de jouer. Ici, la technique ne sert pas qu’à épater la galerie. Dans ARC Raiders, elle sert le joueur, l’immersion, et le gameplay. Elle devient un instrument de tension pure, sublimé par un sound design d’une puissance rare et le plus impressionnant depuis Battlefield 1 et Hunt: Showdown. C’est vous dire le niveau de réalisation !
J’suis un Raider et j’lui mettrai bien une cartouche!
L’autre prouesse d’ARC Raiders, c’est d’avoir accompli l’improbable : rendre sa communauté… bienveillante. On parle pourtant d’un jeu de tir compétitif en ligne. Et si vous croiserez évidemment quelques Raiders à la gâchette aussi sensible qu’un chasseur du dimanche un peu trop chargé au Ricard, il vous arrivera tout aussi souvent de tomber sur des joueurs cherchant à coopérer, ou simplement à vous éviter, surtout si vous partez en solo. Certes, vos objectifs peuvent parfois sembler répétitifs, c’est inhérent au genre. Mais ce sont ces frictions entre joueurs qui engendrent des situations totalement imprévisibles : absurdes, hilarantes, parfois héroïques, des séquences que Helldivers 2 n’aurait clairement pas reniées.
Ici aussi, la donne change. Vos adversaires présumés ne sont plus de simples polygones à abattre machinalement : ce sont de vrais joueurs, conscients que cette guerre presque fratricide ne mènera nulle part. Après tout, tout le monde patauge dans le même bourbier. Mais attention : si vous choisissez de l’épargner, rien ne garantit qu’il en fera autant. Il pourrait très bien vous manipuler, feindre la coopération, attendre que vous baissiez votre garde pour vous trahir, ou simplement vous utiliser pour accomplir une quête qu’il ne pourrait réussir seul. Ces dilemmes, ARC Raiders en regorge. Chaque partie vous pousse à réfléchir : à vos déplacements, au bruit que vous générez, aux armes et gadgets que vous emportez, au moment où vous les utilisez, à la manière dont vous interagissez avec les autres… jusqu’à la moindre ressource que vous glisserez dans votre inventaire limité. Rien n’est jamais anodin, tout est organique et on a toujours l’impression de vivre une véritable aventure qui ne cesse de se renouveler, à l’instar d’un RPG aux choix multiples.
Et puis, il y a les ARC. Ces machines, dont l’origine reste pour l’heure mystérieuse, sont des adversaires à la fois fascinants et redoutables, dotés d’armes et de comportements variés. Impossible de simplement tirer sur tout ce qui bouge pour passer à la suite : ces entités sont résistantes, puissantes, et surtout, animées par une intelligence artificielle d’un réalisme saisissant. Embark est le premier studio à avoir exploité l’apprentissage automatique à un tel niveau pour simuler, faire évoluer et animer le comportement des ARC et le résultat est bluffant. Jamais dans l’histoire du jeu vidéo on n’avait observé des IA aussi crédibles et imprévisibles. D’autant que ces machines semblent continuer d’apprendre, révélant parfois d’ingénieux changements d’attitude.
Nous avons par exemple vu un Bombardier, un immense robot hexapode armé d’obus, incapable de nous atteindre derrière un muret trop haut, se repositionner de lui-même pour ajuster sa trajectoire en tir en cloche. Ou encore cet Artificier, un drone volant géant, incapable d’entrer dans un bâtiment à cause de sa taille, mais capable d’anticiper nos déplacements après observation, nous piégeant à l’intérieur et forçant donc l’affrontement. ARC Raiders regorge de comportements de ce genre, et c’est précisément ce qui rend les affrontements bien moins monotones et insipide que la concurrence.
MARC Gyver
En ce qui concerne la progression, Embark Studios semble avoir compris qu’il fallait la rendre moins injuste, moins opaque pour que le genre puisse enfin exister aux yeux du grand public. Même si vous perdrez toujours votre équipement et ce que vous avez ramassé pendant vos raids si vous mourrez, vous aurez quand même gagné de l’expérience qui vous gratifiera, une fois le niveau suivant atteint, d’un point de compétence à dépenser dans l’un des trois arbres. Ce choix étant pour l’instant définitif, il faudra veiller à bien choisir si vous ne voulez pas vous retrouver pénalisé une fois le niveau 75 atteint.
En parallèle de cela, vous aurez également l’opportunité de construire divers établis, vous permettant à leur tour de fabriquer toute sorte d’équipements, que ce soit des armes, des mines lasers ou non, plein de type de grenades, des gadgets de mobilité et bien plus encore. Et pour cela, il faudra ramasser tout un tas de bric-à-brac et réussir à l’extraire, puis le trier selon vos besoins et la capacité de votre réserve. Il faudra ensuite déterminer quoi vendre, quoi conserver ou recycler et ainsi de suite, ce qui nous amène au plus gros point noir de ARC Raiders: l’ergonomie de ses menus. Si Embark Studios semble avoir résolu une bonne partie des problématiques du genre, il n’a pas encore trouvé la formule miracle pour les menus. Prenons l’exemple du hub, Speranza, qui sert de base aux Raiders. Certes, l’endroit est joliment animé, vivant, et regroupe tous les services dont un joueur pourrait avoir besoin. Mais ses menus, eux, auraient bien besoin d’une cure de qualité de vie.
Imaginons : vous avez besoin d’outils rouillés et de composants mécaniques pour améliorer votre armurerie. Vous vous souvenez qu’en recyclant certains objets, vous pouvez en obtenir… mais lesquels déjà ? Vous voilà contraint de passer en revue chaque item, clic droit, recycler, juste pour vérifier ce que l’opération vous rapportera. Même galère pour réparer ou raffiner des pièces : il faut tâtonner, tester, et espérer tomber sur le bon objet. Avec le temps, on finit par s’y retrouver un peu mieux, certes mais ARC Raiders regorge d’objets aux références obscures, et on aurait aimé qu’Embark automatise certaines tâches pour nous épargner un micro-management inutilement chronophage.
Certes, on peut suivre les recettes qui nous intéressent pour les garder sous la main. Mais là encore, la manipulation frôle l’absurde : il faut ouvrir la carte, faire défiler un menu déroulant interminable, et espérer retrouver la bonne ligne après des heures de jeu. En dehors de ces petits écueils d’interface, ARC Raiders souffre aussi de quelques désynchronisations serveur : tirs non enregistrés, impacts décalés, voire dégâts reçus alors que vous étiez pourtant bien à couvert derrière un mur. Rien de catastrophique, mais suffisamment frustrant pour vous rappeler que la Ceinture de Rouille n’est pas le seul endroit où les choses grincent encore un peu.
ARC Raiders avait toutes les raisons du monde de se planter en s’engouffrant entre les deux rouleaux compresseurs que sont DICE et Activision, sans oublier son illustre modèle, Escape From Tarkov. Pourtant, Embark Studios a prouvé plusieurs choses avec son titre, à commencer qu’il est possible d’exploiter intelligemment l’intelligence artificielle pour rendre un monde plus crédible, tout en rappelant qu’à la fin, ce sont toujours les artistes humains qui font la différence.
En prenant le temps d’observer, de jouer, d’expérimenter, Embark Studios a fait d’ARC Raiders non seulement le meilleur jeu multijoueur de l’année (pour peu que vous ne soyez pas allergique au genre), mais peut-être même l’un des plus marquants de cette génération, un peu moribonde et paresseuse sur ce terrain. Le studio démontre aussi, à l’instar des rogue-like et rogue-lite, qu’il est possible de sortir de sa niche, un genre de jeu, en le rendant accessible sans pour autant sacrifier sa profondeur, sa cohérence technique et artistique, ni surtout son sens du fun.
Les quelques défauts encore présents ne représentent rien d’insurmontable et font déjà l’objet d’une attention particulière. Il ne reste plus qu’à Embark de maintenir une cadence suffisante en contenu qualitatif pour faire vivre son univers sur la durée, peut-être même sur la décennie qu’ils ambitionnent. En attendant de voir s’ils en sont capables, on se souviendra longtemps de ARC Raiders pour avoir délivré l’une des expériences visuelles et sonores les plus marquantes, cohérentes, intelligentes et organiques de ces dernières années. Et surtout, pour avoir replacé le lien social entre les joueurs au centre de l’expérience grâce à un game design d’une rare maîtrise dont beaucoup devraient s’inspirer… On peut se permettre sans mal qu’il y aura désormais un avant ARC Raiders, et un après.








