Si les menaces de mort envers Laura Bailey, l’actrice qui incarnait Abby dans The Last of Us Part 2, et son fils en bas âge vous avaient laissé des sueurs froides (les raisons étaient certes associées à son action dans le prologue du jeu, mais son physique qui ne respectait pas les codes genrés avait définitivement cristallisé une certaine haine), sachez que vous n’allez pas ressortir indemne de cet article.
Annonçons les choses d’emblée, nous allons parler de jeu vidéo, mais surtout de politique. Avec des personnalités influentes comme Asmongold, Mark Kern ou encore Elon Musk, qui n’en finit pas de glisser sur la pente réactionnaire et ne semble pas vouloir arrêter de jeter de l’huile sur le feu, la polémique Sweet Baby enfle et laisse apercevoir le visage peu reluisant de l’alt-right américaine… et européenne.
Parlons des faits. Un groupe de personnes se réunissant d’abord sur Discord essayait de rassembler les indices qui permettraient de conclure à une wokisation globale du jeu vidéo. On ne vous fait pas de dessin, sur ce Discord régnait une bonne atmosphère de misogynie, d’homophobie et de transphobie. Cette joyeuse troupe a ensuite commencé une campagne de harcèlement visant des acteurs influents de l’industrie qui avaient la malchance d’être, au choix : une femme, homosexuel ou bien encore transsexuel.
Sweet Baby, vous l’aurez deviné, s’est retrouvé sous le feu nourri de ces individus tout sauf bienveillants. L’entreprise, qui est un prestataire, est contactée par des studios cherchant à développer leur narration dans le sens de l’inclusion et de la crédibilité. L’entreprise donne avant tout des conseils, mais les plus réacs voient surtout une entité toute puissante qui forcerait la main aux studios et les obligerait à implanter un personnage noir, et parfois, comble du malheur, féminin. Il arrive même que le personnage ne réponde pas aux critères de beauté standard ! Imaginez, il se pourrait même qu’il soit homosexuel.
Revenons sur Terre, il existe en effet des bourses qui incitent à l’inclusion et à la diversité. Si ces bourses sont de l’ordre de quelques dizaines de milliers d’euros, elles ne pèsent pas bien lourd dans l’industrie du jeu vidéo où certains jeux ont des campagnes marketing à 500 millions d’euros. Deuxièmement, les studios eux-mêmes ont dit que ces allégations étaient fausses, que Sweet Baby n’entrait pas en scène comme censeur, mais plutôt comme conseiller. Troisièmement, comment une entreprise d’une taille si modeste pourrait-elle aller à l’encontre de la création de tels studios ?
Ci-dessous des personnages féminins noirs qui auraient normalement été blancs si Sweet Baby n’était pas passé par là. On pourra aussi recenser d’autres cas comme la faiblesse de Kratos qui aurait été pensé comme beaucoup plus viril et sûr de lui (on serait passé à côté de l’aspect scénaristique le plus intéressant de God of War, soit dit en passant) ou bien encore le fait que dans Spider-Man 2, un accent certain soit mis sur MJ. Apparemment, laisser de la place à un personnage féminin n’est pas intéressant scénaristiquement, encore moins quand celle-ci n’est pas blanche, mais ça, vous l’aurez compris.
Tout ceci montre bien que ces détracteurs et ces créateurs de fake news ne connaissent pas vraiment le processus de création d’un jeu vidéo. Comment un conseiller pourrait-il décider d’effacer et d’ajouter des pans entiers d’histoire sur un projet au long cours et sur lequel auraient travaillé des équipes énormes pendant déjà des mois ? Nous sommes d’accord que tout ceci est en dépit du bon sens, pourtant, cette théorie du complot a la peau dure.
Après le Gamergate, une nouvelle polémique de ce genre est tout ce dont n’avait pas besoin le jeu vidéo. En sus de cette atmosphère aux relents nauséabonds propres à la mouvance réactionnaire s’ajoute la cupidité du capitalisme. Faites donc entrer les grifters, voleurs pour faire simple, comme Asmongold, célèbre YouTubeur américain connu pour son attachement aux valeurs masculines et critiquant la féminisation des jeux vidéo qui s’empare de tous les sujets sensibles pour plus d’audimat.
Bonjour à Elon Musk, anti-woke convaincu, qui s’attarde sur la « wokisation des jeux vidéo » et de « l’endoctrinement de millions d’enfants à travers le divertissement » et pourrait racheter l’entreprise pour mettre fin à sa « politique déviante ». Nul doute que celui-ci part déjà en campagne politique et soigne son image de leader prêt à endosser son rôle d’acteur principal dans la lutte woke. Ou peut-être s’ennuie-t-il simplement à force d’envoyer des fusées et de compter ses billets, qui sait ?
Ce qui inquiète avec ces théories du complot, ce ne sont pas les théories elles-mêmes, mais plutôt le fait que des personnes ne fassent plus confiance à des institutions établies. Si nous vivons dans une époque où les platistes n’ont jamais été aussi nombreux, c’est que bon nombre de citoyens ne sont plus satisfaits par les informations traditionnelles. En témoignent ces articles battant en brèche ces élucubrations, mais qui ne sont pas relayés tandis que la personne ayant créé le groupe Steam anti Sweet Baby affirme sur la chaîne YouTube Geeks + Gamers :
« J’ai commencé à reconnaître des motifs récurrents dans les jeux comme des femmes moches ou des personnages masculins affaiblis par des personnages féminins plus forts qu’eux. »
Beaucoup de journalistes ayant tenté de faire taire ces fake news en faisant leur travail ont reçu des menaces de mort, tout comme des développeurs ayant travaillé avec Sweet Baby et démenti ces propos. Dans un monde où deux vérités semblent coexister, il paraît évident que le journalisme du jeu vidéo ne semble pas faire le poids contre les tendances YouTube et les tweets populaires d’Elon Musk. Espérons que la rigueur et l’exigence finiront par payer.