Vivre au Japon, c’est une expérience extrêmement enrichissante. Si c’est le cas pour le simple fait de vivre à l’étranger, le Japon a ça de plus qu’on peut facilement rapprocher sa culture de la nôtre.
Bien entendu, c’est loin d’être la seule raison de visiter ou de s’installer dans ce pays fantastique : les jolies femmes, ses temples sublimes, les jardins zen, ses jolies allées qu’enjolivent des centaines de cerisiers en fleurs, Tokyo (ville à la croisée du passé et du futur), Osaka (son centre historique), sa gastronomie, les mangas, et puis ses femmes, quoi ! Bref, cette liste pourrait être allongée infiniment tant le Japon nous fait fantasmer. Rien de plus normal.
En ce qui nous concerne plus spécifiquement, le jeu vidéo vient forcément en tête de liste des raisons qui nous pousseraient à visiter ce pays. Sony, Nintendo, Akihabara, Capcom… autant de noms qui pèsent dans notre imaginaire de joueurs gavés aux live-stream, à PewDiePie et à l’animation japonaise bon marché. Seulement, force est d’admettre que la réalité est tout autre. Aujourd’hui, je vais partager avec vous la raison qui me pousse à ne pas forcément vous recommander la télévision japonaise…
Si vous êtes une personne de ma génération, voire plus jeune (ce qui est loin d’être improbable), il y a des chances que la télévision ne représente plus grand-chose pour vous aujourd’hui. Effectivement, si autrefois il s’agissait d’une pièce révolutionnaire, centrale dans nos foyers, vers laquelle se tournait le regard de toute la famille, à présent, ce meuble n’est guère plus qu’un écran sur lequel brancher les PS5 et Xbox Series (que nous n’avons pas). Et au final, c’est pas plus mal, ça s’appelle le darwinisme et c’est pourquoi les yeux à présent se tournent ailleurs.
Oui, ces dernières années, l’audimat est en chute libre et nous sommes de moins en moins nombreux à passer notre temps devant les programmes à la qualité discutable que nous prévoient les différentes chaînes, privilégiant au contraire le contrôle sur nos choix audiovisuels au travers de services tels que Netflix, Disney +, YouTube ou Amazon Prime (pour ne pas citer Salto).
Et les chiffres ne mentent pas. Bien au contraire même, rien qu’en 2018, nos préférences de consommation avaient déjà glissé vers nos écrans de poche plutôt que sur nos dalles de salon (d’après Statista, lien dans les sources). Mais pour ceux qui s’y retrouvent avec la télévision (généralement les personnes les plus âgées), un panel assez large de choix reste disponible.
De tous les horizons (enfin, surtout américains et européens), on retrouve des documentaires, des émissions de télé-réalité, films et téléfilms, jeux télévisés et séries… On en passe et des meilleurs ! Un choix relativement vaste qui aime se prétendre le reflet de nos goûts, un goût qui semble favoriser les conflits, les débats et les rivalités.
Naturellement, les exemples sont légion et ce plus particulièrement dans les talkshows et les émissions de télé-réalité, des programmes généralement peu coûteux à produire et qui, au travers d’un apparent « naturel », happent la conscience de ceux qui sont trop simples pour voir la supercherie… Rassurez-vous, au final, les programmes ne sont pas bien différents au Japon… Enfin, à peu près.
Oui, si vous avez de la télévision japonaise une image de programmes délirants, dosant avec maestria la folie, l’excentricité et la violence gratuite comme avaient si bien su le faire Takeshi’s Castle, Brain Wall ou Silent Library, ce n’est pas du tout le cas. Alors oui, ça existe (ou plutôt, ça a existé parce que quand il y a quelques années Vincent Desagnat commentait Takeshi’s Castle sur NRJ12, il commentait des vidéos vieilles de 20 ans, sa diffusion s’étant arrêtée en 1989), mais il ne faut pas s’attendre à un rendez-vous récurent.
Bien au contraire d’ailleurs. Si vous pouvez passer un peu de temps devant la télé au Japon, vous constaterez rapidement deux points majeurs : on a principalement droit à des talkshows et « non mais ça parle que de bouffe ! ».
Les nippons sont visiblement friands de programmes façon vidéos de réaction où les animateurs et téléspectateurs observent des invités réagir à des vidéos de gens qui mangent des trucs. Et on ne parle pas de plats étranges, non non, on parle de plats du quotidien genre sushi ou curry… Plus encore, ces réactions sont généralement très (trop) enjouées, un ton qui semble parfois si faux qu’il effraie plus qu’il ne donne envie…
Imaginez Etchebest ou Gordon Ramsay entrer dans un resto et, au lieu de fumer la tronche d’un restaurateur dès la carte (ce qui mènerait probablement le bougre au suicide…), ils disent « mais c’est vachement bon ! » ou « Wow ! Succulent ! » avec grimaces et gesticulations comme des ventilos. Ouais, eh bien, maintenant, ça, c’est le cas à tous les épisodes…
Effectivement, TOUS les épisodes. Des hurlements stridents et répétitifs de surprise et d’émoi « heeeeee? », « oishiiiiiiiiii » ou « kawaiiiiiiii » à longueur de journée afin de ponctuer de longs segments vidéo et la vie des retraités devant leur poste… Pas de moments malaisants, pas de débats, pas même de discussions (ou peu)… Simplement des réactions exagérées, appuyées par leurs retranscriptions à l’écrit à grands renforts de caractères gras saturant l’écran pour couvrir l’histoire d’un mec qui ingurgite du riz, du thon ou qui promène son chien… L’angoisse, quoi…
Bon, au moins, on peut juste sortir pour éviter de se retrouver coincé face à la dalle et à ses émissions criardes. Malheureux ! Que vous alliez au restaurant, chez le docteur, à la pharmacie, etc., bref, tous les endroits où vous pourriez croiser des petits vieux, la télévision japonaise vous y attendra ! Effectivement, on découvre des écrans partout, voire à des endroits improbables. Alors si vous étiez déjà surpris de découvrir des écrans dans les rues et les lignes de métro de Tokyo lors de vos visites, vous serez peut-être surpris d’apprendre qu’ils ont la télé en voiture aussi.
Oui, vous lisez bien. Un moniteur se trouve généralement dans l’habitacle de la voiture et n’est pas (uniquement) conçu pour manœuvrer en marche arrière ou divertir les passagers, mais bien pour occuper l’utilisateur lui-même, l’écran étant juste à gauche du volant et face au boîtier de vitesse.
Naturellement, vu la dangerosité du bousin, l’écran est censé se mettre à l’arrêt quand la voiture dépasse un certain seuil de vitesse, ne diffusant que le son. Enfin, à moins que le conducteur ne connaisse un type qui bidouille et il peut enchaîner le binge-watching sur NHK pendant la conduite.
Aucun doute, le lobby de la télévision est très puissant au Japon et la télévision japonaise est implantée partout. Saviez-vous d’ailleurs que vous pouvez retrouver des pubs pour la NHK dans les manuels scolaires des écoles publiques aux côtés d’ailleurs de personnages Nintendo (oui, au Japon, Mario et ses potes sont même sur les livres de maths) ? Mais alors, si ces shows sont si odieux, pourquoi des gens se placeraient-ils sciemment devant ce genre de production ? Qui peut bien vouloir s’infliger pareil traitement ? Et si la réponse se trouvait justement dans le quotidien des intéressés…
Dans la rubrique « le saviez-vous ? », on va ajouter la suivante : saviez-vous que les Japonais étaient un des peuples les plus stressés du monde ? Si les nippons ne sont pas au top dans la liste des pays, Tokyo, la ville la plus densément peuplée, elle, l’est. Tokyo est la ville la plus stressée au monde et possédant le plus grand taux de gens atteints de burn-out au monde (d’après des chiffres Forbes de 2018). Naturellement, avec un tel train de vie (auquel s’ajoutent le coronavirus et les difficultés pour communiquer chez un peuple qui s’ostracise), un peu de fantaisie ne peut pas faire de mal, quelle que soit sa provenance.
Et du coup, les divertissements sont évidemment légion. Louer un ami, aller en boîte, les pachinkos, les restaurants, le shopping, les game centers… Tant d’options qu’il est difficile de savoir où mettre ses billes… surtout quand on n’en a pas. Par conséquent, la télévision, toujours présente dans les foyers des Japonais (comme partout ailleurs) s’est adaptée pour satisfaire sa clientèle et ses besoins, plus particulièrement celui de se détendre et de passer un bon moment.
Et quoi de mieux qu’un festin entre amis et regarder les mines réjouies de personnes se gavant de produits du terroir ? Après tout, ce n’est pas pour rien que ce format d’émission existe aussi chez nous (et est diffusé en semaine autour de midi, à une heure de grande écoute… pour les seniors).
Au final, à la différence du PAF qui cherche toujours à créer le débat qui fera le buzz et qui fera jazzer les réseaux sociaux (un principe d’ailleurs très américain, vous en conviendrez), la télévision japonaise, elle, privilégie les images positives, les émissions souvent sans intérêt et sans fond qui n’ont pas pour ambition de se faire à l’image du pays, mais d’aider les gens du quotidien à vider leur sac en les incitant à exprimer des pensées positives. En bref, une bulle où exprimer des expressions face à des animateurs enjoués et un moyen de cracher du bonheur plutôt que du venin.
Alors oui, comme d’habitude, je râle et je pointe du doigt, mais au final, le problème ne vient-il pas de moi ? Le problème ne vient-il pas de nous ? La manière dont nous consommons les images nuit-elle au développement de notre positivité et de notre manière d’accueillir les nouvelles, les films et les séries TV ? Qu’en pensez-vous ? Malgré mon portrait au vitriol, je vous invite très chaudement à découvrir la télévision japonaise et à partager votre avis dans les commentaires (non, les animes, ce n’est pas de la télévision japonaise). Et puis bon, puisque vous êtes là :