La situation tendue entre ZA/UM et les anciens développeurs du jeu Disco Elysium est encore montée d’un cran. Suite aux dernières allégations des deux côtés, ce sera à la justice de trancher sur ce qu’il s’est réellement passé au sein de l’entreprise lors du renvoi des développeurs vedettes. En effet, ce mercredi 9 novembre, Robert Kurvitz, réalisateur du jeu, et Aleksander Rostov, directeur artistique, ont donné leur version des faits quant à leur licenciement en fin d’année dernière. ZA/UM, l’entreprise qui détient maintenant les droits de Disco Elysium, nie en bloc les accusations.
Ces accusations lancées vont au-delà du simple licenciement abusif : ils estiment, au vu des éléments qu’ils ont, que l’entité ayant racheté la majorité de ZA/UM, Tütreke OÜ, aurait obtenu ses fonds destinés à l’acquisition en fraudant. Du côté de l’entreprise, les communiqués rejettent l’accusation, et rétorquent que les anciens collaborateurs avaient été renvoyés pour mauvaise conduite. Une bien sombre évolution, mais qui n’est pas surprenante au vu des prises de positions de Martin Luiga, qui avait déjà reporté le départ d’une partie de l’équipe créative derrière Disco Elysium plus tôt cette année. Il expliquait alors :
« C’est arrivé à la fin de l’année dernière. Ils ont été virés pour des raisons fausses, et c’était une épreuve vraiment traumatisante pour eux et leurs proches. » –Martin Luiga
À la fin de son dernier communiqué, il avait alors annoncé que c’était aux personnes impliqués de s’exprimer, lui-même ne disposant de toute manière que d’une vision parcellaire de la situation. De plus, il ajoutait que c’était à Kurvitz, Rostov et Helen Hindpere, alors concernée par le licenciement, mais qui ne s’est pas engagée dans la présente accusation, de s’exprimer plus précisément sur ce qu’il s’était réellement passé dans le studio.
Au-delà des spéculations politisantes – bien que ce genre de discussions aient forcément un fondement sur les mêmes problématiques – c’est bel et bien sur un terrain légal que Robert Kurvitz et Aleksander Rostov s’expriment :
« Nous avons maintenant appris que Tütreke OÜ a dû obtenir le contrôle du studio ZA/UM de manière frauduleuse. Nous pensons que l’argent utilisé par Tütreke OÜ pour acheter la majorité des actions du studio a été prise du studio ZA/UM OÜ lui-même, de l’argent appartenant au studio et à tous ses actionnaires, mais qui a été utilisé pour le bénéfice d’un seul. Nous pensons que ces actions – qui, selon nous, et selon nos avocats, est du ressort d’une action criminelle passable de trois ans d’emprisonnement – ont été commises par Ilmar Kompus et Tonis Haavel, avec le soutien de Kaur Kender, un actionnaire minoritaire. C’est peu surprenant si nous prenons en compte le fait que Tonis Haavel, que nous supposons être le meneur, a déjà été condamné pour avoir escroqué des investisseurs sur un autre projet en 2007. » – Robert Kurvitz, Aleksander Rostov sur Medium, le 09/11/2022
La lettre, forcément résultat d’échanges avec des avocats, met bien en avant l’affect émotionnel des deux intéressés – c’est le travail d’une vie qu’ils perdent avec le licenciement de chez ZA/UM – tout en appuyant bien sur le fait que ce soit un litige légal qui les pousse à l’action, avec suffisamment de preuves pour une action adéquate.
Du côté de ZA/UM, un communiqué a été publié pratiquement au même moment. Dans celui-ci, Ilmar Kompus, le PDG de l’entreprise, explique qu’ils étaient responsables d’un « environnement de travail toxique », et que Robert Kurvitz humiliait régulièrement ses collègues, et prévoyait de voler le contrôle des propriétés intellectuelles du studio.
C’est un portrait bien sombre qui est dépeint de ceux présentés comme les têtes pensantes derrière Disco Elysium : animés par des « illusions de grandeurs », prêts à sauter dans d’autres studios plus grands, maltraitant leurs collègues, en colère et déçus, et peu travailleurs. Cela ferait deux ans qu’ils ne remplissent plus leurs obligations dans l’entreprise, laissant beaucoup de travail à leurs collègues. Des sources anonymes au sein de l’entreprise, quant à elles, permettent de remettre un équilibre dans tout cela :
« [La situation serait due à] un complot du PDG d’un côté, un auteur toxique de l’autre. »
Kurvitz aurait été régulièrement en conflit avec l’équipe chargée des affaires économiques dirigée par Kompus, puisque l’équipe créative, dont il avait la charge, considérait les questions de profits comme « secondaires ». Cette source appuie sur le fait que le respect qu’arbore l’équipe présente depuis longtemps dans le studio pour Kurvitz les retient de s’exprimer sur sa toxicité, car les employés estiment qu’ils lui doivent leur place, et ceux embauchés plus récemment ne se sentent pas légitimes à l’idée de parler à leur place. Cependant, la source estime important de reconnaître que la situation n’est pas manichéenne.
Martin Luiga, le premier à avoir fait un rapport de la situation en annonçant la dissolution du collectif culturel ZA/UM, apporte aussi de la nuance à l’affaire. S’il apparaît tout de même plus du côté des créatifs, il explique :
« Le travail s’organisait de telle manière qu’on n’avait pas l’impression que le but du travail était de faire du jeu, mais plus de créer une dispute entre les personnes impliquées. »
Quoi qu’il en soit, difficile de démêler le vrai du faux, le juste de l’injuste : et pour cause, ce sera à la justice de trancher, les deux partis ayant pris leurs dispositions. Il reste bien malheureux que même un jeu engagé comme Disco Elysium ne puisse éviter ce genre de controverses qui ne sont que trop récurrentes.