Rétro (mais pas trop), c’est la chronique qui rebondit sur l’actualité pour revenir en arrière et évoquer l’histoire d’un jeu vidéo, ou du jeu vidéo. Avec ce numéro, on profite de la sortie imminente du remake d’Alone in the Dark pour revenir (en deux parties distinctes) sur cette licence, mère du survival-horror moderne.
Alone in the Dark. Voilà un nom qui devrait trouver écho dans le cœur de tous les amateurs de jeux d’horreur et plus particulièrement de survival-horror. Sorti en 1992 sur PC et Mac (pour faire simple), on peut très largement considérer que ce jeu est le véritable père du survival-horror moderne et que ce n’est pas, comme il est de notoriété publique, un certain Resident Evil sorti quatre ans plus tard. Monsieur Shinji Mikami lui-même a reconnu l’influence que le jeu a eue sur le développement de son Biohazard, car comme il l’a déclaré, sans lui, son jeu aurait été une sorte de FPS et non un jeu à la troisième personne.
Alors certes, le jeu de Frederic Raynal n’a pas été la seule inspiration du Japonais, mais elle reste malgré tout majeure tant il y a de similitudes entre les deux titres. Cependant, nous ne sommes pas ici pour parler de ça, mais bien pour savoir si aujourd’hui la saga dans son ensemble peut être considérée comme « culte » en se basant sur divers critères, comme son héritage, sa puissance évocatrice et surtout la qualité des productions qui la composent. Et c’est à l’occasion de la sortie prochaine du remake d’Alone in the Dark que nous avons décidé de répondre à cette question.
Alone in the Dark
Remontons donc en 1992, date de sortie du premier Alone in the Dark, développé par feu Infogrames (studio qui aura donné des sueurs froides à bon nombre de joueurs), et dirigé par un certain Frédéric Raynal à qui l’on doit aussi Little Big Adventure 1 et 2, ainsi que Time Commando et plus récemment 2Dark. Des titres que l’on vous recommande chaudement au passage. Révolutionnaire, voilà comment l’on pourrait qualifier le premier jeu du développeur, qui a quasiment créé un genre et révolutionné l’utilisation de la 3D.
Sans refaire toute la genèse du jeu, sachez que le point de départ de son développement est l’acquisition en 1990 des droits d’exploitation des écrits de H.P Lovecraft par Infogrames et son PDG de l’époque, un certain Bruno Bonell. Cet accord prévoyait ainsi que le studio français sorte trois jeux inspirés de l’univers de l’écrivain, et c’est ainsi que débuta l’aventure de ce qu’on appellera la première trilogie Alone in the Dark, dont le premier fut dirigé par un Frederic Raynal qui avait alors des idées novatrices.
Il fut l’un des premiers jeux à proposer la possibilité de diriger un personnage entièrement modélisé en 3D dans des décors pré-calculés, ce qui était alors, et au vu de la puissance des systèmes de l’époque, un véritable tour de force. Pour ce faire, il développa quelques logiciels, dont le célèbre 3D Desk, qui lui permirent aussi d’adapter le jeu à la machine sur laquelle il tournait, et ainsi naquit l’optimisation multiplateforme. Qu’on se le dise, Alone in the Dark marqua un véritable tournant dans l’industrie et reçut d’ailleurs plusieurs prix, notamment le Tilt d’Or de 1992.
Ceci étant dit, il nous faut parler du jeu lui-même. S’il partait pour être une adaptation plus ou moins stricte de L’Appel de Cthulhu, le scénario connut des changements majeurs en cours de route avec l’arrivée d’un certain Hubert Chardot, que l’on connaît aussi pour The Devil Inside ou encore l’adaptation vidéoludique de Mission Impossible, mais qui a aussi œuvré sur toute la trilogie Alone in the Dark. Il s’inspira aussi bien de la Chute de la Maison Usher d’Edgar Alan Poe (le cadre du manoir) que de la mythologie du Mythe de Cthulhu pour cette série de jeux.
Le scénario est d’une simplicité enfantine, néanmoins. Le jeu prend place en 1924 dans le manoir Derceto en Louisiane, où l’on retrouva le corps du célèbre peintre Jeremy Hartwood, pendu dans le grenier. Après que la police a conclu à un suicide, le détective Edward Carnby est engagé par une tierce personne pour retrouver un objet précis présent dans la demeure, alors qu’une certaine Emily Hartwood gagne elle aussi la demeure pour faire la lumière sur la mort tragique de son oncle.
Et c’est là l’une des particularités d’Alone in the Dark. Dès le début, nous sommes amenés à choisir d’incarner soit Edward, soit Emily, formule qui sera reprise quelques années après par le Resident Evil de Capcom. Ce choix n’est pas à prendre à la légère puisqu’il influe sur la difficulté du jeu, qui devient plus difficile lorsque l’on choisit l’héroïne, bien moins robuste que son acolyte masculin. Cependant, peu importe qui l’on incarne, le but du jeu est simple : s’échapper du manoir duquel on se retrouve prisonnier.
Et pour ce faire, il nous faut affronter d’innombrables créatures surnaturelles, du zombie au vers géant, en passant par des goules et autres vilaines bestioles. Le jeu se veut être un véritable survival-horror. Ainsi, si le combat au corps à corps est possible et que l’on peut utiliser une arme à feu pour se défendre, il est conseillé de fuir ou de trouver des moyens de se défaire des monstruosités du manoir de manière plus ingénieuse que de simplement attaquer frontalement. Il faut se montrer économe sur les ressources et inventif lors des quelques affrontements.
La progression s’articule autour d’énigmes à résoudre dans cette grande et vaste bâtisse replie de secrets, et il faut farfouiller pour en découvrir les secrets. De nombreux journaux et écrits sont présents pour nous aider à avancer, mais aussi découvrir un lore des plus intéressants et travaillés. On peut même y trouver le Nécronomicon dans la grande bibliothèque Decerto.
Alone in the Dark propose des mécaniques de gameplay présentes encore aujourd’hui dans nombre de jeux du genre. Caméra fixe, lourdeur du personnage, inventaire réduit, ressources en nombre réduit et énigmes retorses en sont le meilleur exemple. Il est l’instigateur d’un genre, un grand jeu, qui est bel et bien culte tant il a influencé l’industrie même du jeu vidéo.
Alone in the Dark 2 et 3
Après le succès critique et commercial d’Alone in the Dark, Infogrames, par l’intermédiaire de son PDG Bruno Bonell, décida très rapidement de se lancer dans une suite. Alone in the Dark 2 sortit une première fois sur MS DOS en 1993, ainsi que sur tout un tas d’autres supports au fil des années, comme sur PlayStation et Saturn en 1996 sous l’appellation Jack is Back. Différent dans son approche, car beaucoup plus porté sur l’action et moins sur la survie et l’horreur que son prédécesseur, il doit ce changement aux exigences de Bonell, ce qui créa un désaccord profond avec Frederic Raynal qui quitta le studio pour fonder Adeline Software International.
Dans ce second épisode, on incarne toujours Edward Carnby quelque mois après les événements du manoir Decerto. Il part enquêter dans le manoir Hell’s Kitchen à la recherche d’une jeune fille disparue. Si du surnaturel demeure, avec cette vieille histoire de pirates maudits, le jeu se veut bien plus terre à terre et les affrontements face à ces derniers se multiplient tout le long. Capables de parler, agissant presque comme des humains, ils sont plus à considérer comme des possédés que comme des zombies, car ils peuvent même tirer à l’arme à feu.
Le jeu vire carrément dans l’action-aventure, se veut plus linéaire, malgré le fait que l’on puisse visiter d’autres lieux que le manoir, et surtout les ressources comme les munitions et armes à feu sont légion. Malgré tout, il reste assez difficile même encore aujourd’hui. Moins effrayant et sombre, il apporta par contre une bonne idée, celle de pouvoir, durant quelques séquencesn incarner Grace Saunders, la jeune fille disparue, qui n’a aucun moyen de défense et doit jouer de l’infiltration pour s’en sortir.
Il connut aussi un petit gap graphique et pérennisa la formule de la 2D pré-calculée. Bien qu’apprécié par les fans de la saga, il n’aura jamais l’aura de son prédécesseur et restera assez confidentiel, ne connaissant pas le succès commercial et critique de son aïeul.
Cela n’empêcha pas cependant Infogrames de se lancer là encore dans une nouvelle suite qui conclurait donc cette première trilogie. Alone in the Dark 3 (Ghosts in the Town pour les intimes) sortit en 1995 sur MS DOS et l’année suivante sur PC et Mac. On y incarne toujours Edward Carnby qui part cette fois-ci enquêter dans une ville fantôme très Far West sur la disparition d’Emily Hartwood, héroïne du premier jeu. Il reçut des critiques assez mitigées, son univers de cowboys zombies n’ayant pas réussi à convaincre tout son beau petit monde.
Au niveau du système de jeu, on reprend les bases du second épisode, tout en fluidifiant l’action, toujours plus présente, et en rendant le maniement plus « smooth ». Par exemple, Infogrames a tout simplement supprimé l’action de recharger pour rendre les affrontements armés bien moins contraignants. Il n’empêche, et c’est un bon point, les énigmes jouent un rôle plus important dans cet opus que le précédent et le jeu est admirablement bien rythmé.
Il bénéficie aussi d’un doublage dans plusieurs langues, grâce au CD-ROM, mais n’est graphiquement pas au niveau des productions 3D de l’époque, malgré des efforts consentis sur les animations des personnages, et sur la mise en scène plus soignée que dans Alone in the Dark 2. Il marque la fin d’une ère pour Infogrames qui peina à retrouver le succès connu avec le premier jeu, et la licence fut alors mise en pause quelques années, ne pouvant lutter contre les mastodontes Resident Evil et Silent Hill.
Cette première trilogie reste tout de même importante dans l’histoire du média, car elle a démocratisé un genre qui connaîtra son apogée avec la sortie de Resident Evil en 1996. Si les deux derniers jeux restent assez confidentiels, le premier fut une source d’inspiration pour tout un tas de game designers, de directeurs artistique et créatif qui reconnaissent encore aujourd’hui l’influence qu’ont eue Frederic Raynal, Bruno Bonell et les équipes d’Infogrames dans l’univers du jeu vidéo horrifique.
Voici qui conclut la première partie de notre dossier sur la saga Alone in the Dark. Pour la suite, il vous faudra patienter quelques jours encore.