Depuis la sortie de Demon’s souls en 2009 sur PS3, et surtout de celle de Dark Souls deux ans plus tard, FromSoftware a popularisé, puis démocratisé sa formule souvent nommée Souls-like auprès des joueurs et de l’industrie. Aujourd’hui, nombre de nouveaux développeurs ont découvert leur vocation en jouant aux Souls, comme le jeune Miyazaki Hidetaka avec Shadow of the Colossus en son temps. Souvent copiée, mais rarement égalée, cette formule inspire désormais tous les studios du monde entier et c’est cette fois de Corée du Sud que nous vient notre prochain candidat : Lies of P.
Ce second jeu de Round8 Studio, après le peu mémorable Bless Unleashed (un MMORPG gratuit sur Steam), a su fédérer une belle communauté autour de lui avant même sa sortie, parvenant même à être élu lors de la Gamescom 2022 meilleur jeu d’action-aventure et meilleur RPG (rien que ça). Alors, maintenant que Lies of P est enfin disponible sur PlayStation, Xbox et PC (ainsi que sur le Game Pass), voyons donc de quel bois il se chauffe et s’il représente une alternative pertinente à la saga dont il s’inspire.
(Test de Lies of P réalisée sur PS5 à partir d’une copie du jeu fournie par l’éditeur)
Ergo trip
Toute ressemblance avec un autre jeu vidéo est purement fortuite. Voilà de quoi agrandir notre protubérance nasale sans avoir à passer sous le bistouri, car clairement, énumérer les différences entre les « Soulsborne » de FromSoftware et ce Lies of P représente un challenge presque plus important que de terminer le jeu en lui-même.
C’est même principalement sur cette ressemblance que s’est faite sa réputation, et sur cet univers à la fois glauque et crasseux, mais terriblement fascinant. Nous y incarnons Pinocchio, le fameux P du titre, la plus grande œuvre du génial Geppetto à l’origine des marionnettes qui posent aujourd’hui problème. En effet, l’Ergo, une sorte d’énergie spirituelle permettant aux pantins de se mouvoir, initialement pour servir l’humain, semble aujourd’hui corrompu et contamine aussi bien l’Homme que ses créations.
Car à présent, les marionnettes se rebellent, et un Armageddon « terminatoresque » est sur le point de se produire. Le Grand Contrat (un équivalent des lois de la robotique d’Isaac Asimov) n’est plus et certaines entités semblent même s’humaniser. Heureusement, dans sa grande folie, Geppetto a permis à son fils artificiel de s’émanciper de ces règles et même d’utiliser l’Ergo pour renforcer ses propres capacités. Quelqu’un a parlé d’Echo de sang ?
Nous voilà partis pour explorer de fond en comble la ville de Krat, en pleine industrialisation, depuis ses quartiers résidentiels jusqu’à ses usines en passant par les égouts, églises et autres périphéries les plus inhospitaliers afin de découvrir l’origine de cette contamination et d’en trouver un remède. Mais pour sauver qui, les humains ou les pantins ? Et d’ailleurs, que sommes-nous réellement ?
Des questions soulevées à plusieurs reprises et qui offrent à l’intrigue une saveur supplémentaire. Si durant les premières heures de l’aventure on ne comprend pas vraiment l’utilité du mensonge, cette mécanique nous apparaissant de prime abord comme gadget, c’est au fil des rencontres avec divers PNJ, humains ou non, et de l’avancement de l’histoire qu’elle commencera à prendre de l’ampleur.
Ainsi, nous sommes régulièrement confrontés à divers choix, certes globalement binaires (tuer ou sauver, donner un objet ou non, mentir ou dire la vérité, etc.), mais qui ajoutent une rejouabilité indéniable à l’intrigue. D’autant que l’univers regorge de nombreux mystères, quêtes et PNJ cachés, recoins dissimulés et boss annexes, à tel point que malgré les heures passées sur Lies of P, on a eu le sentiment qu’il nous restait tant à découvrir encore.
Sans contrefaçon, je suis un garçon
Sur cette dernière décennie, nous en avons vu passer des Souls-like : Nioh, The Surge, Code Vein, Steelrising, Thymesia, Stranger of Paradise et tant d’autres, et tous ont un point commun. Chacun d’entre eux utilise un même socle ludique et injecte tout autour une autre vision du RPG d’action. Lies of P ne s’embarrasse pas de cette contrainte et pioche pille allègrement les idées et créations de FromSoftware.
Les exemples ne manquent pas. On a reconnu dans les mouvements de certains boss ici la charge de Vordt, là une séquence reprise de la forteresse de Sen ou du puits de Majula, ou encore un équivalent à l’armure du tueur de dragons de Dark Souls 3. Zones, monstres, boss, PNJ même, les équipes de Round8 Studio frôlent régulièrement la contrefaçon et ne s’en cachent même pas.
Est-ce un défaut en soi ? Pas vraiment, tant que c’est bien fait, et c’est le cas ici. Néanmoins, en copiant autant ses sources d’inspiration, la comparaison devient inévitable et malgré ses qualités, il faut bien admettre que Lies of P n’atteint pas la maestria des œuvres de Miyazaki Hidetaka.
Prenons l’exemple du level design. Malgré la présence de nombreux raccourcis, souvent bien sentis, et une direction artistique globale remarquable, force est de constater qu’on a affaire à de longs couloirs déguisés. Il y a bien quelques embranchements, mais ces derniers restent assez restreints et ne servent quasi exclusivement qu’à atteindre un coffre ou un objet plus ou moins intéressant, rien approchant de près ou de loin la surprise d’un lac incandescent de Dark Souls 3 par exemple.
Sans être rédhibitoire, il faut bien admettre que l’exploration se révèle décevante au fil des zones explorées. Toutes sont très différentes et disposent de leurs propres identités visuelles et artistiques, pourtant, on finit par les visiter presque de manière mécanique tant leurs structures sont scolaires et redondantes.
On part d’un Stargazer (l’équivalent des feux de Dark Souls), on avance dans de longs couloirs, plus ou moins sinueux, remplis de quelques pantins hostiles, jusqu’à tomber sur une sorte de mid-boss, bien plus retors, gardant derrière lui un raccourci ou un nouveau Stargazer. Voilà à peu près ce qui nous est proposé du début à la fin. Heureusement, l’ambiance du jeu et son bestiaire, étonnamment varié, sont suffisamment intéressants pour que l’on puisse s’en accommoder.
Et n’oublions pas de citer aussi ces énigmes façon « l’Homme Mystère » des Batman Arkham qui nous ont particulièrement plu. Même si elles furent trop peu nombreuses à notre goût, elles apportent un véritable moment de fraîcheur et permettent de sortir de notre léthargie, quoique le mot soit fort, exploratoire.
Croix de bois, croix de fer…
Nous l’avons rapidement évoqué, mais le bestiaire de Lies of P, et surtout ses (nombreux) boss, est une vraie réussite et permet non seulement de porter un level design très académique, mais surtout d’accompagner un système de combat aux petits oignons. Alors effectivement, une fois encore, il ne faudra pas y chercher l’originalité, les équipes de Round8 Studio s’étant à nouveau fortement inspirées de ce qui a fait le succès des Souls.
Pour autant, l’ensemble s’avère extrêmement plaisant et, une fois quitté, le jeu a un très bon goût de « reviens-y ». Les affrontements tournent principalement autour des déviations d’attaques, à l’instar de ce qu’avait proposé Sekiro: Shadows die Twice, ou plus récemment Wo Long: Fallen Dynasty.
Il convient donc d’appuyer sur la touche de garde au bon moment pour remplir une jauge (cachée) de posture qui, une fois remplie, offre une opportunité d’infliger une attaque critique à l’adversaire. Cependant, et c’est aussi là que réside l’intérêt de Lies of P, il est également tout à fait viable de procéder de manière plus conventionnelle, en se servant de l’esquive pour passer dans le dos de l’ennemi ou en utilisant la garde par exemple.
En effet, un assaut défendu pourra certes infliger des dommages à notre barre de vie, mais cette portion vitale pourra être récupérée en attaquant l’adversaire. Un équilibre attaque/défense ajoutant une dose de stratégie aux combats avec une prime à l’offensive, et surtout plusieurs réponses pertinentes aux différents mouvements adverses.
Et il faut bien coupler toutes ces solutions pour venir à bout d’une aventure loin d’être simple. Si les premières heures de Lies of P se sont révélées assez abordables, une fois passée la première moitié du jeu, les coups d’arrêts ont été considérablement plus nombreux, notamment en ce qui concerne les boss qui demanderont un véritable apprentissage de leurs patterns pour être appréhendés.
Rien de neuf sous le soleil, pourriez-vous nous dire, et pourtant, même un habitué des formules Souls devra parfois s’armer de patience et utiliser les outils à sa disposition pour surmonter certains défis. Car même s’il est possible de se passer de la flasque située peu avant les boss permettant d’invoquer un PNJ allié pour nous aider, il sera essentiel de bien mettre à jour son arbre de compétences qui sera l’unique moyen d’améliorer son esquive, d’ajouter des emplacements d’anneaux ou d’obtenir de nouvelles potions, par exemple.
Ainsi, Lies of P est, manette en main, une très belle réussite, offrant une variété d’approches et de constructions de personnages très intéressantes. Bien que dans le fond, il ne soit pas original pour un sou, plusieurs idées incrémentées ici et là ajoutent une profondeur inattendue à l’ensemble, comme le fait de pouvoir récupérer une potion en combattant lorsque l’on est à sec ou un système de prothèse (à la Sekiro, encore une fois) ajoutant d’autres stratégies à notre arsenal.
Lies of P, malgré ses airs de rejeton illégitime des Souls, s’est in fine révélé être un excellent jeu, bourré de qualités et incroyablement accrocheur pour peu que l’on adhère à sa proposition. Son seul véritable problème, c’est que ce n’est pas vraiment SA proposition. Melting pot de ce qui se fait, sinon de mieux, au moins de plus emblématique dans les licences de FromSoftware, on finit irrémédiablement par voir suinter les œuvres de Miyazaki Hidetaka par tous les pores du jeu.
Cependant, malgré toute l’envie et les qualités des développeurs de Round8 Studio, Lies of P ne parvient pas à atteindre la maîtrise incroyable des différents Souls, notamment en ce qui concerne la science du level design. Pour autant, nous avons adoré éprouver l’étendue d’un système de combat certes connu, mais apportant quelques touches plus inédites, et arpenter les rues crasseuses de Krat en quête de quelques traces de lore et de duels épiques (et complexes) contre les boss, le titre étant pratiquement irréprochable sur ce point.
Mais plus encore que la difficulté du jeu, pourtant assez élevée sur la seconde moitié, il a été ardu durant notre test de ne pas citer l’exclusivité phare de FromSoftware à destination de la PlayStation 4. Lies of P est une lettre d’amour au studio japonais et un délicieux bonbon pour ses fans à travers le globe. Il ne sera peut-être pas le plus grand amour des Souls, mais il pourrait être plus qu’un petit flirt de passage. Lies of P est bien plus qu’un simple ersatz de Bloodborne (mince, on y était presque).