Des amoureux qui se tiennent la main en regardant les étoiles, quand l’un d’entre eux pointe un doigt vers le ciel et dit « fait un vœu ! ». Il a aperçu une étoile filante, ou une comète… Une image d’Épinal qui prend une autre tonalité si l’on réalise que les deux amoureux sont des dinosaures, et que la comète est justement celle par qui les vœux ne seront jamais exaucés… C’est un peu le contexte de Goodbye Volcano High, un visual novel qui nous raconte la dernière année de lycée d’une bande d’ados-dinos ; une dernière année de lycée qui risque bien d’être une dernière année tout court, un corps céleste menaçant en effet d’entrer en collision avec la Terre. Un scénario désespéré et tire-larmes ? Pourtant, non…
(Test de Goodbye Volcano High réalisée sur PC via une copie du jeu fournie par l’éditeur)
« C’est mon ami et bien plus encore ! »
Les fans des dessins animés du samedi matin auront probablement reconnu le générique de Denver, Le Dernier Dinosaure. Outre la référence à l’espèce disparue il y 65 millions d’années, Goodbye Volcano High adresse un clin d’œil appuyé à toute cette culture de dessins animés américains de la fin des années 80, les Saturday Morning Cartoons (Les Maîtres de l’Univers, Jem et les Hologrammes, Cosmocats…).
Le chara-design, l’animation, la situation (le lycée), tout rappelle ces productions faites pour les enfants, et pour leur vendre des jouets. Ce positionnement transforme le visual novel, genre dans lequel s’inscrit Goodbye Volcano High, en dessin animé interactif. Pas de « silhouettes » plantées devant des décors fixes au gré des dialogues ici, comme on en a l’habitude dans les titres du genre, mais une aventure totalement animée et mise en scène. Un parti pris qui nous fait rentrer d’autant plus dans l’histoire.
On est donc devant un joli dessin animé en 2D, avec, c’est vrai, des imperfections dans l’animation, mais qui rappelle plus les séries de notre enfance qu’elles ne gênent le joueur. Le jeu nous demande régulièrement d’intervenir : pour choisir le logo du groupe, décider de la pose à prendre pour l’annuaire photo du lycée, jouer de la musique avec Fang et le groupe, les Worm Drama, écrire les paroles des chansons, ou encore, bien entendu, pour le choix des dialogues.
« Cherche ton chemin / C’est ta vie, c’est ton destin »
Le choix des dialogues est une mécanique incontournable des visual novels. Dans Goodbye Volcano High, les choix que nous ferons ne nous emmèneront pas à vingt-cinq fins différentes. La mise en place fait que dès les premières minutes de jeu, on sait comment cela finira. Un peu comme avec Titanic. Plus que jamais, on fera appel au fameux adage sur le voyage et la destination…
Tout l’enjeu de l’aventure sera de décider de comment on veut passer cette dernière année au lycée. Cette dernière année tout court. Ainsi, les choix de dialogues nous permettront de décider de nos priorités, et de la façon dont on se comporte avec son entourage. Qui est la Fang de cette année de Terminale ? Un.e musicien.ne en colère, qui fait payer ses frustrations à ses amis et s’en veut aussitôt ? Un.e poète.sse qui a des difficultés à gérer ses émotions ? Un.e étudiant.e un peu perdu.e, qui voit son groupe se construire un avenir au fur et à mesure que le sien se trouble ? Un peu tout ça. Au joueur de laisser telle ou telle facette s’exprimer, au risque de se rapprocher de certains personnages, mais aussi de s’éloigner de certains autres…
Les éléments de gameplay dépassent le simple choix des dialogues, et s’il ne sera jamais question de « perdre », les diverses interactions permettent au joueur de s’impliquer, et, quelque part, de faire un peu partie du groupe (après tout, nous serons co-auteur de certaines chansons, et on aura designé le logo du groupe quand même…). Un jeu de rythme vient accompagner les phases musicales, assez nombreuses, jeu qui là encore renforce les liens du joueur avec les personnages. Néanmoins, l’histoire avancera plus ou moins de la même façon, qu’on fasse un sans-faute ou qu’on plante royalement le mini-jeu. Tout juste une ou deux phrases du dialogue suivant viendront commenter rapidement notre performance.
« … et même si la Terre est ronde, on ne se ressemble pas »
On s’attache à ces personnages très bien écrits, parfois archétypaux, parfois surprenants, et même d’autant plus surprenants quand ils sortent de leur archétype. On apprécie que la diversité soit abordée élégamment, sans être une problématique : les personnages sont divers (dans leurs physiques, leurs origines, leurs genres, leurs orientations sexuelles…), c’est un fait, ce ne sera jamais le nœud d’une intrigue, ce ne sera donc jamais présenté comme un souci. Une jolie façon de plaider la tolérance.
Ainsi, Fang, le personnage principal, et son frère, Naser, ont des prénoms d’origine arabe (Fang est bien entendu un pseudo, elle s’appelle Fatima, comme on le découvre lors des dialogues avec ses parents), et les parents ont un accent étranger assez prononcé, mais jamais cela ne sera un sujet du jeu. L’un des personnages évoque sa transition, mais au cours d’une discussion qui se concentre sur autre chose. Fang elle/lui-même entretient le flou sur son identité de genre, mais encore une fois, cela la/le regarde et n’est pas au cœur du jeu, pas même à sa périphérie.
On notera quand même les difficultés des traducteurs de travailler avec cette façon d’évoquer ces sujets, usant du pronom « iel », malheureusement après un adjectif accordé au féminin ! On gardera néanmoins en tête la volonté de bien faire, et que le titre est intégralement traduit en français (les voix restent en anglais).
Sign O’ the Times
Cet été, un roman a tourné au sein de la rédaction : Un Garçon Ordinaire de Joseph D’Anvers. Le roman, qui a particulièrement touché certains membres de l’équipe, raconte une année de terminale du point de vue d’un lycéen un peu perdu, qui ne sait pas trop ce qu’il va faire après l’été, et qui s’inquiète surtout de son groupe d’amis : celui-ci va-t-il résister, va-t-il voler en éclats ?
Comme Fang dans Goodbye Volcano High, le héros d’Un Garçon Ordinaire se réfugie dans la musique, avec son groupe. Et comme les héros du jeu, ceux du livre de Joseph D’Anvers vont devoir faire face à leur propre météorite : la mort de Kurt Cobain, et la disparition (au sens littéral) d’un de leurs amis.
Encore une fois, comme pour la météorite qui menace Volcano High, ces deux traumatismes seront à la fois les manifestations très concrètes des changements qui s’opèrent dans la vie de ceux qui sont sur le point de devenir des adultes, mais aussi une métaphore de cette évolution. Un « plus rien ne sera jamais pareil ». Un peu hardcore, dans le cas du jeu !
Deux histoires qui racontent un peu la même chose chacune de leur côté, et qui nous arrivent dans les mains à quelques semaines d’intervalle… Faut-il y voir un signe du temps ? Sign O’ The Times aura été identifié par les plus jeune comme un morceau d’Harry Styles, et par les plus anciens comme un titre de Prince. Dans tous les cas, on parle musique ; l’occasion de placer un mot sur la B.O. de Goodbye Volcano High, interprétée par le groupe Dabu et la chanteuse Brigitte Naggar, qui, dans un style de pop planante qui peut rappeler Fleetwood Mac, accompagne parfaitement la tonalité du jeu.
Coming out of age… de pierre
Le « coming out of age », c’est ce qu’on appelle en français le « roman d’initiation », ou « l’aventure initiatique ». Au cinéma, on pense à La Folle Journée de Ferris Bueller, aux films de John Hugues en général, au trop méconnu I love you Beth Cooper (Chris Colombus, 2009, qui rendait justement hommage au cinéma de John Hugues), à Stand By Me, ou plus récemment à The Perks of Being a Wallflower (titré crétinement en français « Le Monde de Charlie », 2009, Stephen Chbosky).
C’est à ce genre très codifié qu’appartient Goodbye Volcano High. Certes, on sait d’avance qu’on va droit vers un drame inévitable. Mais le jeu n’en n’est pas pour autant larmoyant. Mélancolique, certainement. On y voit tout ce qu’on regrette de laisser derrière nous, mais on participe surtout en tant que joueur à faire que ces instants en vaillent la peine. Le message est assez simple, dans le fond : Goodbye Volcano High veut nous convaincre de profiter du moment.
Goodbye Volcano High ne sera rien de moins que le meilleur visual novel auquel l’auteur de ces lignes se sera essayé. Sa mise en scène entièrement animée, ses choix de gameplay, même s’ils sont peu décisifs, participent à impliquer le joueur bien plus qu’à l’accoutumée avec le genre.
Mais surtout, on est emporté par l’écriture des personnages et leurs quêtes de sens et d’identité dans un monde où l’on n’est plus trop sûrs que cela en vaille la peine (Tiens ? Ça rappelle quelque chose à quelqu’un ?). Spoiler, le jeu est catégorique : oui, ça en vaut la peine !