Connu pour ses jeux de combat frénétiques comme BlazBlue ou Guilty Gear, Arc System Works prend tout le monde à contre-pied avec sa nouvelle exclusivité Switch 2. Dear Me I Was délaisse les combos pour une courte aventure interactive entièrement mise en scène à travers de délicates peintures à l’aquarelle. Une proposition artistique forte, mais qui pose une question essentielle : le jeu a-t-il plus à offrir qu’une simple (et jolie) contemplation ?
(Test de Dear Me I Was sur Switch 2 réalisé à partir d’une version fournie par l’éditeur)
Dear Me, I Was a full life
Dear Me, I Was se compose en tout et pour tout en dix chapitres, chacun durant entre 5 et 10 minutes et retraçant un moment de vie de la femme que nous incarnons/suivons, de l’enfance jusqu’à son grand âge, avec ses joies, ses choix et ses peines. En une heure de jeu, Dear Me I Was brosse le portrait d’une riche existence bien rempli, sans un seul mot. L’expérience cherche à nous faire ressentir toute une palette d’émotions, teintée d’une profonde mélancolie.
Un pari ambitieux, qui se heurte au fait que les chapitres s’enchaînent un peu trop vite. Il est donc assez difficile de s’imprégner de l’atmosphère, du moins au début. Ce n’est véritablement à partir du quatrième chapitre que la force émotionnelle du récit parvient à nous happer.
Dear Me, I Was simple to play
N’attendez aucune liberté de la part du gameplay, qui se veut d’une simplicité minimaliste. Vos interactions se limiteront à cliquer sur des objets ou à « dessiner » pour révéler l’esquisse suivante. Le terme est d’ailleurs un euphémisme, puisqu’il s’agit simplement de balayer l’écran avec le stick ou le gyroscope. Le jeu est si dépouillé que la plupart des boutons sont inutiles, et vouloir interagir avec un élément non prévu se solde par un bruitage sec venant casser l’ambiance sonore.
De plus, pour bouger la main ou le stylo, uniquement le stick gauche fonctionne, impossible donc de n’utiliser qu’un seul joy-con, excepté en mode souris, où là les capteurs des deux joy-con sont utilisables. Cette simplicité est poussée à l’extrême, au point de terminer le dessin pour nous après 80% de complétion, sans nous laisser le temps d’une pause. Faut-il y voir une maladresse ou un choix délibéré, nous enfermant dans un cadre dont on ne peut sortir ?
Quoi qu’il en soit, cette interactivité limitée n’atteint son plein potentiel qu’à une seule reprise, lors d’une scène mémorable au chapitre 9 où un geste basique accompagne avec une force incroyable la narration visuelle. Un éclair de génie au milieu d’interactions convenues. Mais ce gameplay épuré n’est évidemment pas le coeur de Dear Me I Was, qui mise surtout sur sa musique et sa direction artistique.
Dear Me, I Was so pretty
Le jeu nous prévient d’emblée : il faut jouer avec le son. Et pour cause. Sans dialogue, ni gameplay actif, toute l’émotion passe par le mariage de l’image et de la musique. De ce côté-là, c’est une réussite totale. La bande-son, principalement au piano et au violon, épouse parfaitement les aquarelles qui se dévoilent sous nos yeux et sublime les moments les plus poignants.
Visuellement, le parti pris artistique est une merveille. Arc System Works joue habilement sur les palettes de couleurs pour traduire les émotions, passant de teintes ternes et unies à des explosions de couleurs vives pour symboliser la joie. Cette maîtrise chromatique, qui n’est pas sans rappeler l’esthétique du monde de Gwen dans Spider-Man: Across the Spider-Verse, fonctionne à la perfection. Le studio a également soigné les détails : la plupart des chapitres s’ouvrent sur un petit déjeuner, et l’on voit la table, la vaisselle et la nature du repas changer au fil de la vie de l’héroïne. Ces touches subtiles ancrent le récit dans une réalité touchante et renforcent l’immersion.
Dear Me, I Was not happy with the ending
Alors que l’on approche de la fin, porté par cette douce mélancolie visuelle et sonore, le jeu commet un choix aussi surprenant que décevant. Dear Me I Was prend le contrepied total de tous ses choix précédents, et décide de conclure son récit via une cinématique en prise de vue réelle, ainsi qu’un générique chanté et des paroles sont même sous-titrées.
La rupture de ton est brutale et détonne beaucoup avec le récit qu’on vient de vivre, ce qui nous laisse sur une note un peu amère, comme si Arc System Works n’assumait pas jusqu’au bout. Même si l’intention de connecter les dessins à la réalité (on voit les dessins du récit sur le mur de la personne en prise de vue réelle) peut faire sens, on ne peut que regretter que le titre n’ait pas conservé sa fantastique et cohérente esthétique jusqu’à la toute dernière seconde.
Dear Me I Was est une expérience qui réussit à être belle et touchante, mais également frustrante par ses choix. En une heure de temps seulement, le jeu réussit à nous faire ressentir beaucoup de choses grâce à sa direction artistique en aquarelle, une pure merveille peaufinée par sa bande-son. Les détails narratifs distillés avec intelligence parviennent à nous faire vivre ces tranches de vie de fort belle manière. Mais cette proposition contemplative se heurte à un gameplay quasi-inexistant et surtout à une conclusion qui trahit son propre parti pris artistique de manière déconcertante.
Au final, Dear Me I Was s’adresse à un public de niche, en quête d’une courte expérience narrative et sensorielle, un véritable court-métrage interactif. Si vous cherchez de l’émotion en peinture et que vous êtes prêt à pardonner ses errances, cette tranche de vie saura vous toucher. Les autres resteront probablement sur le pas de la porte.