A partir d’aujourd’hui cher lecteurs, vous aurez le droit chaque mercredi à un dossier sur le jeu vidéo. Qu’il s’agisse d’un dossier vous parlant d’une franchise ou bien d’une réflexion autour d’un thème, New Game Plus vous proposera ainsi de la lecture un peu plus conséquente chaque semaine.
J’ai aujourd’hui l’honneur d’inaugurer cette rubrique avec une petite réflexion autour de l’idéologie dans le FPS. N’hésitez pas à réagir en commentaire, et bonne lecture !
L’Idéologie dans le FPS
Nous avons tous joué à une campagne de Call of Duty, de Battlefield ou de Medal of Honor Dans chacune d’elle, on incarne un ou des soldats occidentaux, qui aura pour but de sauver le monde/un pays/un modèle. Pendant quelques années, les ennemis habituels étaient les nazis, puis on est progressivement passé vers un ennemi arabe (au sens large, n’y voyez rien de xénophobe) puis russe. Ne pas incarner un soldat nazi parait normal, pour une question de morale. Mais pourquoi ne pas incarner un taliban défendant sa cause, ou bien un de ces ultranationalistes russes dans Modern Warfare ?
Il y a le problème de l’identification du joueur, évidemment que nous sommes plus proche de Soap MacTavish ou du Capitaine Price que d’un type dans sa montagne en Afghanistan.
Mais justement, pourquoi ne pas essayer de briser les codes ? Il y a bien eu quelques tentatives mais elles sont toutes médiocres. Pourtant, je suis sûr qu’un bon jeu où on incarnerait un terroriste ferait tellement de buzz que les ventes seraient excellentes.
L’identification du joueur, entre problème réel et question marketing.
D’abord, le souci de l’identification du joueur est réel, et il est surtout lié au marketing. En effet, pour l’image d’un éditeur tel Activision, il est risqué de faire la promotion d’un jeu où on incarnerait un ennemi des États-Unis. Et le joueur (moi le premier) s’identifiera bien plus facilement à un personnage d’une culture similaire qu’à un nord-coréen. Les exemples sont légion, chaque FPS AAA nous place dans une logique manichéenne : toi et tes potes contre les méchants, et ce depuis Wolfenstein 3D. Inverser cette situation poserait d’abord un problème d’identification, mais aussi de culture.
Vous aimeriez vous, incarner un paysan qui sort des rizières de Corée du Nord pour combattre l’envahisseur américain ? C’est pourtant, en gros, le même scénario dans Homefront sauf que c’est les américains sont envahis. Medal of Honor : Warfighter cristallise cette idée : les GENTILS occidentaux se battent contre les MÉCHANTS arabes. Jusque là, il est logique qu’on se sente plus proche d’un « guerrier » occidental, de la même culture que nous, mais cette logique est pleine de sous entendus.
L’antagonisme entre les deux camps : les bienveillants démocrates face aux terribles anarchistes.
La guerre sous le drapeau de l’OTAN, c’est génial non ? On sauve le monde en étant super cool et sympa. Je m’explique. Le méchant est toujours trop méchant, cruel et calculateur. Il n’hésite pas à tuer ses anciens amis, à être déloyal (contrairement à nous, bien évidemment) etc. Le méchant sert toujours ses propres intérêts, pas celui de son pays (pays qui, a toujours besoin de l’aide des USA pour tuer ce méchant). Le méchant est toujours responsable d’exactions envers une population innocente (car il est connu que les américains n’en ont jamais fait). Le méchant attaque toujours gratuitement les États-Unis… Bref, le méchant est très méchant. Et, en tant que joueur, on en vient à un sentiment que c’est une cible à abattre à tout prix. Seul Modern Warfare 2 nous permettait de jouer en étant proche des ennemis(et encore, en tant qu’agent infiltré exécuté par le méchant), mais pour tuer des civils par dizaine… Le tout dans un vaste complot pour créer une guerre entre les USA et la Russie. Car oui, le méchant type qui aime pas les USA est prêt à faire périr des millions d’innocents pour ses idées !
Nous, on est gentil. Si tu tues un civil, tu recommences. Si tu tues un allié, tu recommences. Tu ne commets jamais d’exactions, et tu te bats toujours pour la liberté.
Sur le papier, cette antagonisme est tout à fait logique, même s’il est très cliché. On le retrouve au cinéma ou dans la littérature. Mais en tant que joueur, en tant qu’actif, on tue des dizaines de personnes ayant une idéologie ambivalente. Une mission de Call of Duty Black Ops correspond plutôt bien à cette idée : on tue pas mal de vietnamiens impuissants depuis un hélicoptère. Et c’est cool ! Au-delà de la banalisation de la mort, c’est l’idée que le tas de pixel devant nous représente une idéologie. Et quoiqu’on en pense, le jeu nous dit qu’elle est mauvaise en nous poussant à détruire les individus qui en sont proches.
La classe américaine.
Sans parler de théorie du complot, on trouve là une certaine preuve de la domination culturelle américaine : même dans Battlefield, développé par un studio pourtant suédois, les américains sont bien plus mis en valeur que les russes ou les chinois.
Et quand on a la chance d’incarner un sujet d’une autre patrie que celle des États-Unis, l’attitude de nos alliés virtuels n’est certainement pas la même : dans la campagne soviétique de Call of Duty 5, on voyait nos camarades commettre diverses exactions envers les soldats allemands. Quand à la campagne où on jouait un marines, les japonais, nos adversaires, étaient déloyaux.
Alors que je discutais avec une connaissance, notamment de ce sujet, j’ai entendu une phrase qui montre à quel point il s’agit d’une propagande insidieuse : « Non mais incarner un Navy Seals, c’est quand même bien plus classe que d’incarner un péquenot de taliban ». La mise en scène propre au jeu vidéo s’installe ainsi dans l’esprit des joueurs, alors qu’il ne s’agit que de mise en scène. Et si cette idée est présente quand il s’agit d’un jeu vidéo, c’est probablement la même chose quand cette connaissance s’imagine les choses en vrai : c’est plus classe de tuer en étant américain.
En conclusion, l’idéologie est intrinsèque au FPS militaire moderne. On y retrouve toujours cette logique manichéenne, comme dans n’importe quelle œuvre, qu’elle soit littéraire ou cinématographique. Cependant, dans un jeu, nous agissons selon cette idéologie. Certes, ce n’est que du virtuel, mais cette idée peut finir par rentrer dans notre esprit au fur et à mesures des heures de jeu. On ne s’en rend pas forcément compte, mais le recul et l’esprit critique sont tout aussi nécessaires dans notre loisir que devant la télé.